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CHANT I.

Et jamais ne s’égare aucun beau Séraphin
Sur ces degrés confus dont l’Enfer est la fin.
Même les Chérubins, si forts et si fidèles !
Craignent que l’air impur ne manque sous leurs ailes,
Et qu’ils ne soient forcés dans ce vol dangereux
De tomber jusqu’au fond du Chaos ténébreux.
Que deviendrait alors l’exilé sans défense ?
Du rire des Démons l’inextinguible offense ;
Leurs mots, leurs jeux railleurs, lent et cruel affront,
Feraient baisser ses yeux, feraient rougir son front.
Péril plus grand ! peut-être il lui faudrait entendre,
Quelque chant d’abandon voluptueux et tendre,
Quelque regret du Ciel, un récit douloureux,
Dit par la douce voix d’un Ange malheureux.
Et même en lui prêtant une oreille attendrie
Il pourrait oublier la céleste patrie,
Se plaire sous la nuit, et dans une amitié
Qu’auraient nouée entre eux les chants et la pitié.