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tombe ; je m’en éloignois lentement ; je me détournois pour y reporter mes regards humides ; et pour mieux savourer les idées consolantes quelle m’inspiroit, je me jetai sur un tertre d’où je pouvois l’apercevoir encore, et dont l’épais gason sembloit m’inviter au repos. Mon corps et mon imagination en avoient besoin ; et le sommeil ne tarda point à m’y surprendre.


Mais à peine sur ma paupière,
Morphée à pleines mains répandoit ses pavots,
Qu’en un bois de lauriers, dont les épais rameaux
N’y laissoient pénétrer qu’une foible lumière,
Je crus voir deux mortels d’une allure étrangère.
Un souvenir confus me rappeloit leurs traits ;
Et, les regardant de plus près,
Je reconnus La Fontaine et Molière.
Ils se promenoient lentement ;
Ils discouroient paisiblement
Sur les travers de l’homme ; et sur cette matière
On peut discourir longuement.
« Crois-tu, mon cher ami, disoit le fabuliste,
Qu’on se souvienne encor de ton nom et du mien ;
Que nos écrits sur l’homme aient produit quelque bien ?
J’en doute fort souvent ; et ce doute m’attriste.
— Non, mon cher La Fontaine, on ne peut t’oublier,