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CARMEN PERPETUUM

PRÉLUDE



L’aurore impériale et sa pourpre ont passé ;
Voici le chant des bois et la rumeur des plaines
Et le printemps mêlant ses sons et ses haleines
Grise d’amour mon âme éprise du passé.

L’herbe est joyeuse et vers le fleuve qui dévie
Majestueux et lent aux horizons perdus
S’élèvent des murmures doux, comme entendus
Par de là l’autre hiver, et par de là ma vie…

Ainsi qu’en ce matin d’avril prestigieux,
Humant la volupté des Choses surhumaines,
Je suis, inconscient, le sentier où tu mènes
Mon être vers un but inconnu de tous deux ;

Ainsi j’ai bu l’amour à tes lèvres diverses
Dès l’aurore première et dès l’éternité ;
Et jusqu’en cet avril où rit la nudité
J’ai tendu le cratère aux baisers que tu verses ;

Nos aveux oubliés me sont comme un remords,
Et j’ai suivi l’écho mystérieux des rires ;
Et dans mes yeux émerveillés ou tu te mires
S’est reflété l’éclat perdu des soleils morts.



« La belle Aude »



L’énervante langueur des lents violoncelles
Redit que notre espoir d’aimer est enfantin ;
Le doux hautbois module un regret très lointain ;
Il frémit dans l’orchestre un bruit de grandes ailes ;

La flûte suraiguë aux strideurs sataniques
Raille un sanglot intermittent que dit le cor :
Et voici, n’est-ce pas, l’héroïque décor
Des gaves rugissants et des rocs titaniques :

Voici le choc des fers et les cris du carnage,
La rage cramponnée aux flancs des rocs sanglants,
Et la chute mortelle, et, vers les faîtes blancs,
Le vol prodigieux des vautours plonge et nage…