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LAZARILLE

prenant de l’un des pains, laissant l’autre, en sorte que de trois ou quatre je tirai quelques miettes, que je mangeai comme qui suce une dragée, et ainsi me réconfortai un peu.

Quand mon maître vint pour dîner et ouvrit le coffre, il vit le dam, et sans doute crut que des rats l’avaient commis, car j’avais très exactement contrefait ce qu’ils font de coutume. Il examina le coffre d’un bout à l’autre et y découvrit certains endroits par où il soupçonna qu’ils étaient entrés. Il m’appela et me dit : « Lazare, vois, vois, quelle persécution a souffert notre pain cette nuit. » Je fis le très étonné, lui demandant ce que ce pouvait être. « Ce que c’est ? Des rats, qui dévorent tout. » Nous nous mîmes à manger, et, grâce à Dieu, de cela je tirai encore bon profit, car il m’échut plus de pain cette fois que la misère qui m’était habituellement réservée, le prêtre ayant, avec un couteau, râclé toute la partie qu’il croyait avoir été rongée, qu’il me donna en disant : « Mange ceci, le rat est bête propre. »