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DE TORMÈS

pas trompé, et trouvai le compte plus juste que je ne l’eusse voulu. Tout ce que je pus faire fut de leur donner mille baisers, et, le plus subtilement possible, du pain entamé rogner un peu à l’endroit de l’entame. De cette façon je passai ce jour moins joyeux que le précédent. Mais comme la faim croissait, principalement parce que mon estomac s’était, pendant ces deux ou trois jours, habitué à manger plus de pain, je mourais malemort, à ce point que, lorsque je me trouvais seul, je ne faisais autre chose que d’ouvrir et fermer le coffre pour y contempler cette face de Dieu, comme disent les enfants. Toutefois ce Dieu qui secourt les affligés, me voyant en telle détresse, suggéra à mon esprit un petit remède. Pensant à part moi, je me dis : « Ce coffre est vieux, grand et rompu de divers côtés, et quoiqu’il n’ait que de petits trous, on peut penser que des rats, y entrant, ont endommagé ces pains. En retirer un tout entier n’est point chose convenable, car certes il y verrait la faute, celui qui en si grande me fait vivre. Mais ceci se souffre », dis-je, en émiettant le pain sur une nappe pas très somptueuse qui se trouvait là,