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LAZARILLE

que nous enterrions, je vivais, les jours qu’il n’y avait pas de mort, contraint, après m’être fait à la suffisance, de revenir à ma faim habituelle, je la sentais davantage. De manière qu’en rien je ne trouvais soulagement, hors en la mort, que parfois je me souhaitais ; mais je ne la voyais point venir, quoiqu’elle fût perpétuellement en moi.

Souvent j’eus l’idée de quitter ce ladre maître, mais j’y renonçai pour deux raisons. L’une, c’est que je ne me fiais pas à mes jambes, à cause de la grande faiblesse que la seule faim m’avait causée ; la seconde, parce que je considérais et disais : j’ai eu deux maîtres, le premier me faisait mourir de faim, et, l’ayant laissé, j’ai rencontré cet autre qui m’a conduit jusqu’au bord de la fosse ; or, si je renonce à celui-ci et en prends un plus mauvais, il me faudra de toute nécessité périr. Aussi n’osais-je pas bouger, tenant pour article de foi qu’à chaque changement je trouverais un maître pire, et qu’en descendant d’un degré encore, le nom de Lazare ne retentirait plus en ce monde et qu’on n’y entendrait plus parler de lui.