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LAZARILLE

Il est vrai qu’il partageait avec moi le potage ; mais de la viande, autant que dans mon œil ! Quant au pain, plût à Dieu qu’il m’en eût donné la moitié de ce qui m’était nécessaire.

Le samedi, on a coutume, en cette contrée, de manger des têtes de mouton. Il m’envoyait en quérir une pour trois maravédis, et après l’avoir fait cuire et en avoir mangé les yeux, la langue, le cou, la cervelle et la chair des mâchoires, il m’en abandonnait tous les os rongés, qu’il jetait dans mon assiette, en disant  : « Prends, mange, triomphe, c’est à toi qu’est le monde, tu fais meilleure chère que le pape. » — « Telle te la donne Dieu, » disais-je bas à part moi.

Au bout de trois semaines que je demeurai avec lui, je devins si faible que, de pure faim, je ne pouvais plus me tenir sur