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LAZARILLE

peut-être mon estomac l’eût-il mieux retenu que la saucisse, et, ne le laissant pas paraître, j’en aurais pu nier la demande. Plût à Dieu que je l’eusse fait, car il n’en serait résulté ni plus ni moins.

L’hôtesse et ceux qui étaient là nous réconcilièrent, et avec le vin qu’ils avaient apporté pour boire, me lavèrent la figure et la gorge. Sur quoi le méchant aveugle brocardait : « En vérité, ce garçon me coûte au bout de l’an plus de vin en lavages que je n’en bois en deux. Certes, Lazare, tu es plus tenu envers le vin qu’envers ton père ; car celui-ci t’a engendré une fois, mais le vin mille fois t’a donné la vie. » Et il contait combien de fois il m’avait rompu et égratigné le visage, puis guéri avec du vin. « Je te promets, disait-il, que si jamais homme doit être heureux par le vin, ce sera toi. » Et ceux qui me lavaient riaient beaucoup, tandis que je sacrais.

Mais le pronostic de l’aveugle ne fut point une menterie, et depuis j’ai souvent pensé à cet homme, qui, sans aucun doute, devait avoir esprit de prophétie, et je me repens des méchan-