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LAZARILLE

que je vis qu’il contrevenait à l’accord, je ne me contentai pas d’aller de pair avec lui, mais j’en prenais davantage, deux par deux, trois par trois, et le plus que je pouvais.

La grappe finie, il resta un moment avec la rafle dans la main, branlant la tête, et dit : « Lazare, tu m’as trompé. Je jure Dieu que tu as mangé les grains trois par trois. » — « Non pas, » répondis-je, « mais pourquoi soupçonnez-vous cela ? » Et le très rusé aveugle dit : « À quoi je vois que tu les mangeais trois par trois ? C’est que je les mangeais deux par deux et que tu ne disais rien. » Je ris intérieurement et, quoique enfant, je notai le fin raisonnement de l’aveugle.

Mais, de peur d’être prolixe, je passe beaucoup de choses plaisantes ou dignes d’être contées qui m’advinrent en compagnie de ce premier maître, et finirai tout de suite par le dernier trait.

Étant au logis à Escalona, ville du duc de ce nom, mon maître me donna un morceau de saucisse à griller. Quand la saucisse fut rôtie et qu’il eut mangé les lèches de pain engraissées du dégout de la saucisse, il tira un maravédis