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LAZARILLE

très mince boulette de cire. À l’heure du repas, feignant d’avoir froid, je me glissais entre les jambes du pauvre aveugle pour me chauffer à son maigre feu : à la chaleur duquel la cire, qui était très menue, se fondant, la petite fontaine commençait à dégoutter dans ma bouche, que je tenais si bien que du diable s’il s’en perdait une seule goutte. Aussi, quand le pauvret voulait boire, il ne trouvait plus rien. Il s’étonnait, se maudissait, donnait au diable le pot et le vin, ne comprenant pas ce que ce pouvait être. « Oncle, vous ne prétendrez pas, au moins, que je vous bois votre vin, puisque vous ne lâchez pas le pot », disais-je.

Mais tant de fois il tourna et palpa le pot, qu’il découvrit la fontaine et s’aperçut de la tricherie ; cependant il dissimula comme s’il n’avait rien senti. Le lendemain, tandis que le pot distillait dans ma bouche, et que, loin de penser qu’un malheur m’attendait ni que le méchant aveugle m’avait découvert, je m’étais, comme de coutume, assis, le visage tourné vers le ciel, les yeux à demi clos, pour mieux savourer l’exquise liqueur, le misérable aveugle sentit