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LAZARILLE

dites, et en un mois gagnait plus que cent aveugles en un an.

Mais il faut que vous sachiez aussi, Monsieur, que malgré tout ce que cet aveugle gagnait et amassait, jamais je ne vis homme si avare et si misérable, à tel point qu’il me tuait de faim, sans rien me donner de ce qui m’était nécessaire. En vérité, si je n’avais pas, grâce à mon adresse et mes bonnes ruses, su me secourir, bien des fois je serais mort de faim. Mais, nonobstant tout son savoir et sa vigilance, je le contreminais de telle sorte que toujours, ou le plus souvent, j’attrapais la plus grosse et la meilleure part. À cette fin, je lui jouais des farces endiablées, dont je conterai quelques-unes, quoique toutes ne tournèrent pas à mon avantage.

Il portait le pain et tout ce qu’il recueillait dans une besace de toile, dont l’entrée était fermée par un anneau de fer avec un cadenas et une clef, et lorsqu’il y mettait ou en retirait quoi que ce fût, il était si attentif et comptait si étroitement, que tout le pouvoir du monde n’eût pas suffi pour lui faire tort d’une miette. Moi, je prenais la misère qu’il me donnait et la dépê-