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LAZARILLE

pourvoir la mouture d’un moulin sis au bord de cette rivière, où il fut meunier plus de quinze ans. Une nuit que ma mère, grosse de moi, se trouvait au moulin, le mal d’enfant la prit et elle me mit au monde là, de sorte qu’en vérité je me puis dire né dans la rivière.

Après – j’avais alors huit ans – on accusa mon père de certaines saignées mal faites aux sacs de ceux qui venaient moudre au moulin. Il fut pris, questionné, ne nia point et souffrit persécution à cause de la justice. J’espère qu’il est dans la gloire, car l’Évangile nomme ceux qui ainsi souffrent bienheureux.

En ce temps on leva une armée contre les Mores, où mon père, pour lors banni en raison dudit désastre, alla comme muletier d’un gentilhomme, et là-bas, aux côtés de son maître, comme loyal serviteur, finit ses jours.

Ma mère veuve, se voyant sans mari ni abri, résolut de se rapprocher des gens de bien, afin d’être de leur compagnie. Elle vint demeurer à la cité, loua une maisonnette et se mit à faire la cuisine de certains écoliers et à laver le linge de certains palefreniers du commandeur de la