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PRÉFACE

sition l’eût châtré de toutes ses pointes malignes contre l’Église, lui enlevant jusqu’à deux chapitres entiers, il resta la lecture de prédilection de toutes les classes de la société et fut constamment répété, dans sa forme tronquée, par d’innombrables imprimeurs. L’opération que lui fit subir la censure date de 1573. Philippe II avait compris que sa police était impuissante à prohiber complètement un tel livre. Tout Espagnol revenant de Flandre en avait un exemplaire dans sa pochette, et la contrefaçon belge, les libraires d’Anvers, qui connaissaient déjà la vertu du petit format, avaient modes et manières pour tromper l’Inquisition et glisser leurs in-douze entre les mailles de ses filets. Le grand roi fit donc faire un Lazarille à l’usage de son bon peuple d’Espagne et commit le soin de l’expurger à un de ses secrétaires, Juan Lopez de Velasco, qui s’exprime ainsi dans la préface de son édition émendée : « Quoiqu’il fût prohibé en ces royaumes, — le quoique est joli — on le lisait et imprimait constamment au dehors. C’est pourquoi, avec la permission du Conseil de la Sainte-Inquisition et du Roi notre Sire, nous y avons corrigé certaines choses pour lesquelles il avait été prohibé, et en avons enlevé toute la seconde partie, laquelle, n’étant point du premier auteur, a paru fort impertinente et insipide. »

Voilà qui nous amène à toucher quelques mots des suites du Lazarille. L’opinion de Lopez de Velasco concernant la seconde partie de notre roman a été généralement adoptée ; ceux qui l’ont lue et ceux qui ne l’ont pas lue n’ont pas à son endroit de qualificatifs assez durs ; ils condamnent notamment comme absurde et ridicule la longue allégorie qui en occupe plus des deux tiers, l’histoire de Lazare partant pour l’expédition d’Alger, englouti dans le naufrage de la flotte, changé en thon, et