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PRÉFACE

Mais là où il est bien lui-même et bien espagnol, castillan du plus pur de la Castille, là où il a mis toute son âme et tout son talent, c’est dans ce troisième chapitre de l’écuyer, qu’il a vraiment traité con amore. Et l’on sent qu’il ridiculise ici une figure pour laquelle il éprouve une secrète sympathie, et qu’au fond cette allure superbe dans la plus noire misère, cette hauteur dans la plus affreuse détresse et famine, ne lui déplaît qu’à moitié. Aussi ménage-t-il le noble et pauvre hère ; il permet à l’implacable Lazarille de s’attendrir un peu sur les infortunes de ce maître : « Malgré tout, je l’aimais bien, considérant qu’il n’avait ni ne pouvait davantage, et au lieu de lui en vouloir, j’en avais plutôt pitié » ; il ne lui fait adresser que des reproches mitigés : « D’une chose seulement j’étais un peu mécontent : j’aurais voulu qu’il n’eût pas autant de présomption et qu’il abaissât un peu son orgueil à mesure que montait sa nécessité ; mais c’est, à ce qu’il semble, une règle entre eux observée et suivie, qu’encore qu’ils n’aient vaillant un denier, leur bonnet reste planté à sa place. Le Seigneur y veuille remédier ou ils mourront de ce mal ! »

À ce premier groupe de portraits, la partie achevée du livre et qui à elle seule en eût assuré le succès, s’enchaîne une autre série de chapitres, dont plusieurs très courts font l’effet d’une simple ébauche, d’une matière à dégrossir et à développer ; on dirait des notes, premier jet d’études proportionnées aux premières, dont l’auteur n’a pas su tirer parti et qu’il s’est décidé à annexer telles quelles à son œuvre. Le défaut de composition et de plan, dont je parlais tout à l’heure, est ici sensible. Ainsi, le quatrième maître que rencontre Lazarille est un religieux de la Merci. L’idée en soi était heureuse de donner pour pendant au ladre curé de village un membre du clergé régulier, d’un ordre passable-