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DE TORMÈS

escient, je mettais la main à la bourse, feignant de vouloir payer, ils le tenaient pour un affront, et, me regardant de travers, s’écriaient : Nite, nite, asticot, lanz. Puis, me réprimandant, disaient qu’où ils étaient nul n’avait une blanque à payer.

C’est pourquoi je mourais d’amour pour telles gens, qui, toutes les fois qu’ils me rencontraient, me bourraient les basques et le sein de jambons, de gigots de mouton cuits dans de bons vins cordiaux et assaisonnés de fine épice, de morceaux de chairs salées et de pain ; en sorte que j’avais en ma maison de quoi me nourrir, moi et ma femme, une semaine entière. Et au milieu de cette abondance, je me souvenais de mes faims passées, louais le Seigneur et lui rendais grâce. Ainsi vont les choses et les temps.

Mais, comme dit le proverbe : qui bien te fera, ou bien mourra, ou bien s’en ira. Et ainsi m’advint-il, car la cour changea de résidence comme elle a accoutumé de faire. Et, au moment du départ, je fus vivement requis d’aller avec mes bons amis, qui me promirent monts et merveilles ; mais, me souvenant du proverbe : mieux