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LAZARILLE

partie, car il en avait bien besoin, mais n’ayant pas trouvé ce qu’il me fallait pour cela, je me demandai ce que j’allais faire. Il me parut bon d’attendre mon maître jusqu’au milieu du jour, au cas où il viendrait et par aventure apporterait quelque chose à manger ; mais mon attente fut vaine.

Aussi, lorsque deux heures furent sonnées et que je vis qu’il ne venait pas, la faim me torturant, je fermai la porte, mis la clef où il m’avait dit, et repris mon métier avec une voix basse et plaintive, les mains jointes sur ma poitrine, Dieu devant mes yeux et son nom en ma bouche, et recommençai à quémander par les portes et les maisons qui me parurent les plus riches. Or, comme ce métier je l’avais sucé avec le lait, je veux dire que je l’avais appris du grand maître l’aveugle, j’y étais devenu si habile disciple, qu’encore qu’il n’y eût pas en ce lieu de charité et que l’année fût peu abondante, je m’y pris de telle manière qu’avant que l’horloge eût sonné quatre heures, j’avais autant de livres de pain enfouies dans mon corps et en tenais deux en outre dans mes manches et mon sein. Je retournai