Page:Vie de Lazarille de Tormès, 1886.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
LAZARILLE

quereller. Aussi bien n’y avait-il plus dans mon corps, à cause de la faim, des fatigues et misères que j’avais endurées, une livre de chair, joint que n’ayant ce jour-là presque rien mangé, j’étais exaspéré par la faim, qui avec le sommeil ne faisait pas bon ménage. Mille fois, Dieu me le pardonne, je me maudis, moi et ma méchante fortune, pendant la plus grande partie de la nuit, et, qui pis est, n’osant pas remuer de peur d’éveiller mon maître, je requis plusieurs fois la mort à Dieu.

Le matin venu, nous nous levâmes. Mon maître commença à nettoyer et à secouer ses chausses, son pourpoint, son saye, son manteau, et moi-même, qui lui servait de portemanteau, puis s’habilla à sa convenance et tout à loisir. Je lui versai de l’eau sur les mains, et ensuite il se peigna, mit son épée à sa ceinture, et, au moment de l’y passer, me dit : « Oh ! si tu savais, garçon, quelle pièce c’est ! Certes, il n’y a pas au monde de marc d’or contre lequel je la vou-