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DE TORMÈS

il y a loin, sans compter qu’en cette cité rôdent beaucoup de larrons qui volent les manteaux. Passons cette nuit comme nous pourrons, et demain, au matin, Dieu nous fera miséricorde. Comme je vis seul ici, je ne suis nullement pourvu, d’autant que ces jours derniers j’ai mangé dehors ; mais maintenant nous nous y prendrons autrement. » — « Monsieur, répondis-je, ne vous mettez pas en peine de moi, je sais bien passer une nuit et même plus sans manger. » — « Tu t’en porteras mieux, » dit-il, « car, comme nous le disions aujourd’hui, rien en ce monde ne fait vivre si longtemps que de peu manger. » — « Si cette voie est la bonne, dis-je à part moi, je ne mourrai jamais, car j’ai toujours gardé cette règle par force et compte même, telle est ma malechance, l’observer toute ma vie. »

Mon maître alors se mit dans le lit, et de ses chausses et pourpoint se composa un chevet, puis me commanda de me coucher à ses pieds, ce que je fis ; mais du diable si je pus dormir un seul somme, car les cannes et mes os ressortis ne firent toute la nuit que s’entre-heurter et se