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DE TORMÈS

mon haut, non pas tant de faim, que parce que je connus clairement que Fortune m’était en tout contraire : je me rappelai de nouveau toutes mes fatigues et recommençai à pleurer mes misères. À la mémoire me vint cette considération que je fis lorsque je pensai quitter le prêtre : que bien qu’il fût maître néfaste et misérable, par aventure il pourrait m’arriver d’en rencontrer un pire. Finalement je pleurai ma laborieuse vie passée et ma prochaine mort à venir.

Toutefois, dissimulant du mieux que je pus, je lui dis : « Monsieur, je suis enfant et ne me tourmente pas beaucoup pour manger ; Dieu soit béni, je puis me vanter d’être des moins goulus parmi ceux de mon âge, et jusqu’à ce jour j’ai été tenu pour tel par les maîtres que j’ai servis. » — « C’est une vertu, cela, et je t’en aimerai mieux, car c’est affaire aux pourceaux de se gorger et aux hommes de bien de manger modérément. » — « Je t’ai bien compris, dis-je entre mes dents : maudites soient telles médecine et vertu que ces maîtres que je rencontre découvrent dans la faim ! »

Alors je m’assis dans un coin près de la porte,