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des faisceaux de fusils, deux pièces de canon braquées devant les portes, m’indiquèrent l’entrée des salles, où je fus introduit après avoir été examiné par tous les gardes de l’établissement. Les condamnés les plus intrépides l’ont avoué : quelque endurci que l’on soit, il est impossible de se défendre d’une vive émotion au premier aspect de ce lieu de misères. Chaque salle contient vingt-huit lits de camp, nommés bancs, sur lesquels couchent enchaînés six cents forçats ; ces longues files d’habits rouges, ces têtes rasées, ces yeux caves, ces visages déprimés, le cliquetis continuel des fers, tout concourt à pénétrer l’âme d’un secret effroi. Mais pour le condamné, l’impression n’est que passagère ; sentant qu’ici du moins il n’a plus à rougir devant personne, il s’identifie avec sa position. Pour n’être pas l’objet des railleries grossières, des joies odieuses de ses compagnons, il affecte de les partager, il les outre même, et bientôt, du ton, des gestes, cette dépravation de convention passe au cœur. C’est ainsi qu’à Anvers un ex-évêque essuya d’abord toutes les bordées de l’ignoble hilarité des forçats. Ils ne l’appelaient que Monseigneur, ils lui demandaient sa bénédiction pour des obscénités ; à