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III ANGLETERRE

L’invasion au VIe siècle des Anglo-Saxons, venus de l’Elbe inférieur, produisit la substitution d’une Angleterre germanique à une Bretagne celtique : et ce fut un phénomène très net de colonisation maritime. Lorsqu’on observe la répartition des tribus jutes, anglaises, saxonnes, qui s’établirent le long des côtes depuis le Forth jusqu’au Sussex, il semble qu’on ait sous les yeux la bande de colonies anglaises, Scandinaves, hollandaises qui s’échelonnèrent, au XVIIIe siècle, le long des côtes orientales de l’Amérique du Nord. C’est toujours avec la préoccupation de garder le contact de la mer, par conséquent le long du littoral, que se développent les colonisations. Les unes, comme celles des Grecs ou plus tard celles des Germains et des Suédois de la Baltique, restent littorales. Mais dans la grande île bretonne il n’en fut pas ainsi. La possession des côtes orientales mettait aux mains des envahisseurs germains les fleuves, les parties les plus fertiles et les plus ouvertes, l’axe même de la contrée. Des germes déposés le long des côtes naquit donc un État, l’Angleterre; et ce fut, à la place du celtisme refoulé, le germanisme que la France vit s’établir sur la côte qui lui fait face.


IV EFFET SUR LA FORMATION DE L'ÉTAT FRANÇAIS

Ainsi une zone d’étroit contact entre le monde roman et le germanisme se constitua au seuil de la mer du Nord. Il est permis de voir dans ce fait une des conditions initiales de la formation d'un État français. Un État n’est pas comme un pays l’expression naturelle et presque spontanée de rapports issus du sol ; c’est une œuvre de concentration artificielle et soutenue, qui vit d’actions et réactions réciproques. C’est à leur position au point le plus exposé que les Marches d’Autriche et de Brandebourg, parmi les Allemagnes : que la Moscovie, parmi les Russies, durent leur valeur politique. Là où l’antagonisme crée l’effort, se fixe la puissance. Quelque chose de semblable se produisit sur la ligne de rencontre où la vieille civilisation romane dut faire face au néo-germanisme constitué sur la mer du Nord. Dès les derniers temps de l’Empire romain, l’effort de résistance et par conséquent de contraction s’était visiblement porté vers la Gaule septentrionale : Trêves, Metz, Reims, Paris même prennent alors une importance croissante. De plus en plus désormais, c’est dans la France du Nord que se concentrent les événements décisifs. A vrai dire, le contact du monde germanique n’est pas pour nous borné, comme il l’est pour l’Italie, à un seul côté. Il enveloppe, il pénètre la France par l’Est comme par le Nord. Il s’exerce moins par chocs intermittents que par pression continue. Mais il y a une différence sensible de configuration et de conditions géographiques entre le germanisme danubien-rhénan et celui de la mer du Nord. La Suisse, la Souabe, la Franconie, l’Alsace, la Lorraine sont des contrées naturellement circonscrites, plus capables de réaliser un certain degré d’autonomie régionale que de s’élever par elles-mêmes au rang de grandes unités politiques. Combien plus étroits étaient les rapports et plus