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I VICISSITUDES POLITIQUES DE LA RÉGION

Conflits ou rencontres pacifiques, l’effet de ces rapports a été de mettre en branle les forces vives de la géographie politique. Nulle contrée n’a subi plus de vicissitudes, plus d’attractions en sens contraire : n’a vu plus de remaniements territoriaux. Les frontières politiques n’ont pas cesse de varier. Déjà antérieurement à la conquête romaine une « Belgique » se distinguait de la Gaule ; Rome consacra cette division, le Belgium ; et cette Belgique romaine se décomposa à son tour pour donner naissance à des marches-frontières appelées Germanies. Celles-ci se perpétuent, après la chute de l’Empire, dans les provinces ecclésiastiques de Reims et de Cologne ; mais de leurs domaines ne tardent pas à se détacher les germes vigoureux de la Hollande et de la Flandre. Ainsi la sève créatrice de formations politiques nouvelles ne s’est jamais ralentie. Dans les contrées de l’Ouest ou du Centre de la France, les noms des anciens peuples, Poitou, Limousin, Berry, etc., persistent sur les lieux qu’ils ont jadis occupés : dans cette arène ouverte au voisinage de la mer du Nord, les noms, à peu d’exceptions près, ont été renouvelés.


II INFLUENCE DE LA MER DU NORD

Cette mer qui s’ouvre au Nord des falaises de Gris-Nez et de Douvrcs, avec ses pêcheries, ses estuaires, ses fœhrden, ses sunds, ses viks, ses îles, n’est entrée que relativement tard dans l’histoire. Nous recueillons chez les auteurs classiques l’impression encore fraiche de sa découverte. À l’époque où elle commençait pourtant à attirer l’attention politique, au premier siècle de notre ère, Pline a pour désigner ses rives et ses riverains, « pauvres hères qui brûlent à des feux de tourbes leur nourriture et leur ventre raidi par le froid »[1], des expressions qui nous feraient penser aux parages d’Alaska et des îles Aléoutiennes. Cependant, de plus en plus peuplée sur ses rives, envahie par les navigateurs du Nord, elle ne devait pas tarder à mériter le nom de mer Germanique. Quelque amélioration dans le mode de construction des navires fut sans doute l’humble origine de cette révolution, qui eut pour effet de constituer, autour de la mer du Nord, une forme nouvelle du germanisme, la plus envahissante de toutes, le germanisme maritime et insulaire.

Ce germanisme, dans la partie qui nous touche de près, aboutit à la création de la Flandre et de l’Angleterre.

Nous étudierons plus loin la Flandre. Notons seulement ici que, par ses attaches maritimes, par ses relations avec le Nord de l’Europe, elle représente une formation politique de type nouveau. Elle rompt avec les anciens centres politiques du pays, ceux de l’époque romaine : Tournai, Térouanne ; elle leur en substitue d’autres, voisins de la mer : Thourout, Bruges, Gand.

  1. Pline, XVI, I : « Misera gens tumulos obtinct altos ;., captumque manibus lutum ventia magis quam sole siccantes, terra cibos et rigentia septemtrione viscera sua urunt. »