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vit pas seulement de sa vie propre ; elle participe à une vie plus générale qui la pénètre ; et la pénétration de ces rapports généraux ne peut qu’augmenter avec la civilisation même. Lorsque se produisent de grandes révolutions économiques, comme celles que les découvertes du XIXe siècle ont amenées dans les moyens de transport, quels habitants du globe pourraient se flatter d’échapper à leurs conséquences ? Elles atteignent la chaumière du paysan comme la mansarde de l’ouvrier. Elles se répercutent dans les salaires, la vente des produits du sol, la durée des occupations rurales. De telles transformations sont de nature à entraîner des conséquences que l'esprit humain peut difficilement mesurer.

Nous croyons fermement que notre pays tient en réserve assez de ressources pour que de nouvelles forces entrent en jeu et lui permettent de jouer sa partie sur l’échiquier indéfiniment agrandi, dans une concurrence de plus en plus nombreuse. Nous pensons aussi que les grands changements dont nous sommes témoins n’atteindront pas foncièrement ce qu’il y a d’essentiel dans notre tempérament national. La robuste constitution rurale que donnent à notre pays le climat et le sol est un fait cimenté par la nature et le temps. Il s’exprime par un nombre de propriétaires qui n’est égalé nulle part. En cela réside, sur cela s’appuie une solidité, qui peut-être ne se rencontre dans aucun pays au même degré que chez nous, une solidité française. Chez les peuples de civilisation industrielle qui nous avoisinent, nous voyons aujourd'hui les habitants tirer de plus en plus leur subsistance du dehors ; la terre, chez nous, reste la nourricière de ses enfants. Cela crée une différence dans l’attachement qu’elle inspire. 
Des révolutions économiques comme celles qui se déroulent de nos jours, impriment une agitation extraordinaire à l’âme humaine ; elles mettent en mouvement une foule de désirs, d’ambitions nouvelles ; elles inspirent aux uns des regrets, à d’autres des chimères. Mais ce trouble ne doit pas nous dérober le fond des choses. Lorsqu'un coup de vent a violemment agité la surface d’une eau très claire, tout vacille et se mêle ; mais, au bout d’un moment, l’image du fond se dessine de nouveau. L’étude attentive de ce qui est fixe et permanent dans les conditions géographiques de la France, doit être ou devenir plus que jamais notre guide.