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crues n’atteignent pas ; plus brave, le mas se hasarde et commence à pulluler dans la plaine. Il est la forme envahissante de vie rurale de ces régions.

III VIE PROVENÇALE

Ainsi une vie originale, très étroitement et très anciennement adaptée au sol, participant de la montagne, de la mer, de la steppe, de la plaine irriguée, se combine en Provence. En tout elle est étroitement liée à la nature des lieux. La roche calcaire imprime au pays l’aspect monumental si frappant surtout entre Avignon et Arles. Les tours carillonnantes d’Avignon se pressent autour du rocher où naquit la ville. Tout un peuple d’édifices ruinés ou debout est sorti des carrières des Alpines ou des chaînons voisins : amphithéâtres, arcs de triomphe, aqueducs. Pas de rocher, au bord du Rhône, qui n’ait sa tour  massive et rectangulaire, jaunie par le soleil. Les grandes traditions romaines de l’art de bâtir, si visibles à Saint-Trophime d’Arles ou sur la façade de  Saint-Gilles, se sont naturellement entretenues dans cette contrée. La nudité  de la roche s’harmonise à merveille avec l’architecture. Au théâtre d’Orange,  la roche et l’édifice ne font qu’un ; à Roquefavour, comme au Pont du Gard, les arches des aqueducs semblent faire partie des escarpements qui les encadrent ; on dirait que la roche elle-même, à peine tachetée de quelques pins, a été ciselée en arcades, taillée en piliers.
Il est difficile d’apprécier ce que la clarté du ciel, la sécheresse de l’air ont pu mettre dans le tempérament et l’âme des habitants ; la science de ces relations n’est point faite. Mais on peut noter un mode particulier de groupement et de vie en rapport avec le climat et le sol ; des lisières de population très dense bordent des plateaux arides, de grandes villes sont serrées de près par des régions presque désertes. Peu de cohésion entre ces parties disparates, mais une variété d’occupations qui répond à celle de la contrée : pâtres, pêcheurs, vanniers, marins, agriculteurs de plaines irriguées, sont à titres divers les personnages du sol provençal ; personnages que rapproche la facilité des habitudes sous un ciel qui permet la vie au dehors. On chercherait vainement dans la maison rurale ce mobilier et ces traces d’opulence ménagère que l’habitude de travailler le bois, de cultiver et de tisser le lin, ont introduites dans la plupart des campagnes de France. Mais le roseau, les cornes d’animaux font les frais de beaucoup d’instruments usuels. L’attraction des villes est d’autant plus sensible qu’est rudimentaire l’installation rurale. La vie urbaine est profondément ancrée dans les traditions de ce pays ; elle continue, comme jadis, à régner par l’attrait des divertissements, des jeux, souvent dans le cadre des édifices antiques ; et l’on est tenté de croire que l’esprit des foules a moins varié encore que le cadre. Les superstitions n’ont lait que  changer de nom, et les passions d’étiquettes. On se sent en face d’un type de  civilisation fixé de trop ancienne date, et d’ailleurs trop cimenté par sa conformité avec le milieu, pour être susceptible de changement. La répugnance  du Provençal à s’adapter à d’autres genres de vie, la difficulté pour le Français