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qu’on retrouve, en été, jusqu’en Savoie. Le mistral fait rage sur ces espaces découverts ; çà et là brillent quelques étangs, et le long des rigoles d’irrigation, émergent quelques arbres qui, de loin, semblent flotter en l’air. Le Provençal de Toulon ou de Fréjus grelotte en hiver dans ces plaines venteuses.

II LA CAMARGUE

Le Rhône, que nous avons laissé au défilé de Donzère, au moment où, pour la dernière fois, les montagnes le resserrent, a des lors tout son cours en plaine. Ralenti, il laisse à partir d’Orange tomber les matériaux légers qu’il tenait en suspension : de grandes îles annoncent son delta. De Beaucaire à Saint-Gilles, une terrasse caillouteuse surmonte de 60 mètres la plaine alluviale actuelle : elle est jonchée de quartzites alpins qu’on suit jusqu’aux environs de Cette. Là fut primitivement la principale décharge du Rhône. Aujourd’hui, c'est vers le Sud-Est, peut-être sous la pression du mistral, que s’est porté le bras le plus important. Le delta se construit peu à peu aux dépens de la mer. Ce n’est d’abord qu’une suite de monticules de boue, des theys, incessamment mobiles, qui ne paraissent que pour disparaître ; il faut longtemps pour qu’ils se consolident et se soudent entre eux. Alors commence une végétation rampante de salicornes au tissu coriace et gras, qui donnent en se rapprochant à cette région — la sansouire — , l’aspect de pâturages lie-de-vin. Frêle point d’appui, en apparence, contre les tourmentes du vent et des houles du Sud-Est, que cette basse végétation I Cependant les sables s’arrêtent et se consolident contre ces touffes, l’eau du ciel les imbibe ; des arbustes y croissent. La dune, que les eaux de pluie ont plus entièrement dessalée, se couvre enfin de pins-pignons, abritant des genévriers et un petit peuple de plantes. Puis, si des canaux d’irrigation, des roubines ont été pratiquées aux dépens du fleuve, le mas s’élève sous les eucalyptus, entre de grands massifs d’arbres, entouré de vignes : signe actuel de la revendication par l’homme de ce domaine soustrait à la mer.

On suit ainsi pas à pas la conquête delà vie, et l’on remonte du présent au passé. Sous ce climat sec le sel, aux efflorescences toujours prêtes à remonter à la surface, est l’ennemi ; mais les réserves d’eau douce sont en abondance. Ainsi ont été colmatés les étangs et les marais qui au XIIIe siècle entouraient Arles, 

« ove’l Rodano stagna1 ». Les palus, les graves, les ségonnaux ont été changés en prairies et en plantations. Partout, dans ces parties vivifiées, se répand et se multiplie le mas, exigu souvent, mal bâti en général, mais riant sous les platanes qui l’ombragent, entre des fossés d’eau vive, derrière les palissades de cyprès et de roseaux qui l’abritent. Les villes se cantonnent, avec leurs vieilles tours carrées, au pied des montagnes, ou sur les anciennes terrasses, ou sur les rocs isolés que les

1. Dante (Enfer, chant IX, v, 112).