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ancienne métallurgie de l’étain. Ce n’est probablement pas une coïncidence fortuite que l’existence, aux abords de ces gisements, d’un peuple de renommée ancienne, les Vénètes. Rien de plus naturel que la formation d’une puissance maritime et commerciale à proximité des gisements d’un minerai précieux, et sur une côte découpée, bordée d’îles, propice aux débuts de la navigation, comme celle qui s’étend entre Quiberon et le Croisic. Le nom du peuple vénète n’attendit pas pour être connu que le conflit avec César le rendît célèbre : il figure dans des témoignages de bien plus ancienne provenance[1] comme habitant l’extrémité de la Celtique. C’était un des peuples qui pouvaient disputer aux Artabres et aux Bretons insulaires le titre de « derniers des hommes », vers les confins occidentaux de la terre habitée ; ses relations allaient jusqu’à l’Irlande, et il est permis de voir dans cette marine vénète l’aînée de ces marines celtiques qui explorèrent le Nord de l’Atlantique avant les Scandinaves.

Ce ne fut donc pas à l’aveugle, à travers l’inconnu, que les navigateurs de la Méditerranée ou de Gadès (Cadiz actuelle) se lancèrent vers les lointaines Cassitérides. Des régions où la métallurgie était connue et pratiquée leur ménagèrent des étapes. Lorsque le voyageur marseillais Pythéas, au IVe siècle avant notre ère, alla visiter l’île de Bretagne, son trajet, commencé à Gadès. au Sud de l’Espagne, suivit sans doute les voies fréquentées par les marins de cette ville. Son itinéraire est visiblement lié aux relations qui unissaient dès lors les principaux foyers du commerce océanique. C’est ainsi que nos côtes armoricaines furent parmi celles qu’il décrivit en détail. Il dépeint à l’extrémité de la Celtique une vaste protubérance découpée de promontoires et d’îles ; il y a là le cap Cabæon, le peuple des Ostimii, l’île d’Uxisama[2]. Grâce aux renseignements commerciaux, la péninsule armoricaine est une des premières contrées dont quelques détails se dessinent dans le Far-West européen. Ce que l’on commence à signaler, ce sont les traits propres à frapper des commerçants et des marins, tout ce qui sert de repère à la navigation, caps, promontoires et îles. La contrée s’éclaire par les extrémités. Une auréole légendaire flotte, dans la Méditerranée, sur ces caps où se dressent des sanctuaires de Melkhart-Hercule ou d’Astarté-Vénus ; et dans l’Océan, sur ces îles lointaines, comme la pauvre petite île de Sein, dont on se raconte les mœurs et les costumes étranges.

Mais l’étain des Cassitérides voyagea aussi par la Gaule. En concurrence avec la voie de mer, une voie terrestre, qu’il nous paraît difficile de considérer comme antérieure au Ve siècle avant l’ère chrétienne, fut organisée par les Marseillais. Posidonius, un siècle avant J.-C., dit que l'étain biitannique était expédié à Marseille[3] ; et Diodore décrit le système de transport par

  1. Poème anonyme attribué à Scymnus de Chio (Geographi græci minores, édit. Didot, 1855-61, t. I, p. 202).
  2. Strabon, I, Iv, 5. Uxisama, c’est-à-dire Ouessant, dont le nom, par une anomalie qui n’est qu’apparente, se trouve ainsi un des plus anciennement signalés de notre vocabulaire géographique.
  3. Posidonius, dans Strabon, III, II, 9.