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On voit que la structure de la France n’a rien de l’unité homogène qu’on se plaît parfois à lui attribuer. Le Massif central, par exemple, ne peut être considéré comme un noyau autour duquel se serait formé le reste de la France. De même que la France touche à deux systèmes de mer, elle participe de deux zones différentes par leur évolution géologique. Sa structure montre à l’Ouest une empreinte d’archaïsme; elle porte, au contraire, au Sud et au Sud-Est, tous les signes de jeunesse. Ses destinées géologiques ont été liées pour une part à l’Europe centrale, pour l’autre à l’Europe méditerranéenne.


V HARMONIE ET ÉQUILIBRE DES PARTIES

Mais l’individualité géographique n’exige pas qu’une contrée soit construite sur le même plan. A défaut d unité dans la structure, il peut y avoir harmonie vivante ; une harmonie dans laquelle s’atténuent les contrastes réels et profonds qui entrent dans la physionomie de la France.

Cette harmonie est en effet réalisée. Elle tient surtout à la répartition suivant laquelle se coordonnent, en France, les principales masses minérales[1]. Les massifs anciens avec leurs terres siliceuses et froides, les zones calcaires au sol chaud et sec, les bassins tertiaires avec la variété de leur composition, se succèdent dans un heureux agencement. Les massifs ne sont pas, comme dans le Nord-Ouest de la Péninsule ibérique, concentrés en bloc. L’Ardenne, l’Armorique, le Massif central, les Vosges, alternent avec le bassin parisien, celui d’Aquitaine, celui de la Saône. En vertu de cette disposition équilibrée, aucune partie n’est en état de rester confinée à part dans un seul mode d’existence.

Partout, sur la périphérie des différents groupes — entre montagne et plaine, terres froides et terres chaudes, bocage et campagne, bon et mauvais pays, — éclatent des contrastes dont s’est emparé et qu’exprime avec sûreté le vocabulaire populaire. Si les hommes ont saisi ces différences, c’est qu’elles les touchaient de près, qu’elles se traduisaient en réalités pratiques. Ces

  1. La qualité des sols tient à leur composition minéralogique. Les roches primitives et primaires (granits et schistes) engendrent par leur décomposition des sols pauvres en chaux et en acide phosphorique, plus favorables, tant qu’ils ne sont pas amendés, aux bois et aux landes qu’aux cultures. — Les terrains de l’époque secondaire, parmi lesquels les calcaires dominent, sont souvent trop secs (Causses, Champagnes), mais généralement assez riches ; parmi eux, le calcaire coquillier (Lorraine) et le lias sont regardés par les agronomes comme donnant des terres « naturellement complètes ». — Les terrains tertiaires se distinguent par une grande variété, qui est avantageuse soit pour la formation des sources et le mélange des cultures, soit pour l’abondance des matériaux (argile plastique, calcaire et gypse des environs de Paris). Quelques sols, il est vrai, sont très pauvres (sables de Fontainebleau, argile à silex); mais d’autres sont très fertiles, comme les molasses d’Aquitaine ; ou privilégiés par les multiples ressources qu’ils offrent à l’homme, comme le calcaire grossier parisien. — Les alluvions fluviatiles ou marines doivent souvent une grande fertilité au mélange d’éléments dont elles se composent (Val de Loire ; Ceinture dorée en Bretagne). — Nous aurons maintes fois dans le cours de ce travail, à mentionner ces terrains et d’autres encore : nous chercherons toujours à en expliquer les caractères ; mais pour les détails qui ne sauraient trouver place ici, le lecteur pourra se référer à la Géologie agricole d’E. Risler (Paris, Berger-Levrault, 1884-1897, 4 vol.), et notamment au chapitre XIX du tome quatrième (Terres complètes et terres incomplètes).