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Cette association n’est pas un fait local. Les mêmes éléments du paysage coexistent devant Langres, comme devant Nancy. On les retrouve au-dessus de Sedan, comme au-dessus de Metz. Tout le long d’une zone concentrique qui part des confins de la Bourgogne et va, à travers la Lorraine et le Luxembourg, se terminer en face de l’Ardenne, on suit la continuité d’une dépression fertile que bordent les lignes toujours reconnaissables des côtes oolithiques. C’est un des traits essentiels par lesquels la Lorraine se lie à la Bourgogne d’une part, au Luxembourg de l’autre. Il reste gravé dans la topographie et la physionomie de nos contrées de l’Est. Les contrastes qu’il recèle sont riches en conséquences sur la géographie politique. Ils méritent d’attirer la réflexion, car c’est d’eux surtout que dépendent la position des groupements humains et la formation des villes.

Les corniches fissurées du sommet absorbent l’eau, soutiennent des plates-formes arides ; tandis que sur les flancs les eaux infiltrées réapparaissent en sources, lorsqu’elles atteignent les couches marneuses. Ce niveau de sources est la ligne d’élection auprès de laquelle se sont établis villes ou villages. Ils se succèdent rangés entre les bois des sommets et les cultures des flancs. Les débris calcaires qui ont dévalé des corniches amendent et ameublissent le sol des pentes. La teinte rousse du minerai de fer imprègne les chemins et les parties nues. Et çà et là, sur les cimes, d’anciens bourgs fortifiés  à mine sévère rappellent un passé politique et guerrier. C’est une note historique dans le paysage ; car, dans la plaine, les villages n’étaient groupés que suivant les sources et les commodités de culture ; aucune préoccupation stratégique n’avait présidé à leur construction. 
En Lorraine, de Vaudémont à Metz et même à Thionville, la façade des coteaux oolithiques est tournée vers l’Est. C’est le versant plus ensoleillé, qu’épargnent relativement les vents de pluie. Nancy n’a guère plus de 70 centimètres de pluie annuelle. Mais, en même temps qu’il est le plus sec, ce versant est aussi celui qu’ont plus directement attaqué les courants diluviens venus des Vosges. Dans ces côtes d’apparence unie, il est facile d’entrevoir des plans successifs. Des promontoires terminés en coudes brusques signalent 

les points vulnérables où les eaux ont fait brèche. Dans les parties détachées comme dans les rangées demeurées continues, les traces d’affouillement se révèlent par des formes variées : des anses, des hémicycles, comme ceux qui sculptent si curieusement la côte de Vaudémont ; des échancrures étroites comme celles qui entaillent le plateau de Haye, au Sud et au Nord de Nancy. Ces articulations contribuent, avec le climat et le sol, à favoriser la variété des cultures. Grâce aux abris qu’elles ménagent, les arbres fruitiers, les vergers règnent, avec la vigne, à mi-côte, prêtant aux villages un cadre d’opulence riante. Si, lorsqu’on vient de Belgique ou de l’Ardenne, la Lorraine fait l’effet d’une contrée plus lumineuse et plus variée, où déjà la flore prend des teintes méridionales, c’est à cette zone particulière qu’elle le doit. La nature y revêt un aspect d’élégance, qu’on chercherait vainement dans la plaine. La fine végétation a des ciselures, dont l’art local s’est maintes