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un niveau élevé et conserve encore dans sa végétation sauvage des restes d’espèces arctiques. La température y est rude ; un ou deux mois de gelée sont, environ chaque année, le triste contingent de l’hiver ; la végétation montre un retard de près de deux semaines sur celles des coteaux. Cependant ce climat apporte en été assez de chaleur pour qu’au-dessous de 3oo mètres la vigne puisse prospérer, quand elle a eu la chancre d’échapper aux gelées tardives. De la variété des couches entretenant de fréquents niveaux d’eau, de l’abondance des phosphates de chaux et des substances fertilisantes, s’est constitué un sol fécond et largement habitable. Les champs, les bois, et même les prairies, quoiqu’en moindre étendue, y sont enchevêtrés et assez rapprochés pour que, si voisins que soient les villages, ils disposent chacun de ces diverses commodités d’existence. Les matériaux de construction s’offrent sur place et en abondance : ici pierres calcaires, là briques ou tuiles, le bois partout. Celte terre, pourvu que des attelages robustes en déchirent les flancs, fournit à l’homme tout ce qui lui est utile ; elle est reconnaissante, mais, il est vrai, sans grâce et sans sourire.

VII POPULATIONS DU PLATEAU LORRAiN

La population qui en tire parti se compose de petits propriétaires ; race économe, calculatrice et utilitaire. Des lots ou d’exploitation agricole très morcelés forment le patrimoine de ces habitants strictement groupés en villages ; ceux-ci, très uniformes, très régulièrement répartis. Le passé n’y a guère laissé de châteaux ; le présent n’y a pas implanté d’usines. La monotonie de l’aspect n’est que le juste reflet de l’uniformité d’occupations et de conditions sociales. Dans la plate campagne, des communautés rurales aux noms généralement terminés par les désinences court ou ville, s’espacent à trois ou quatre kilomètres de distance. Il est rare qu’elles contiennent plus de 3oo personnes ; souvent il y en a moins. Là se concentrent tous les travailleurs et propriétaires, y compris le berger communal. Tout rentre dans le village : les pailles, qu’il est nécessaire d’engranger ; le bétail, qui ne peut passer la nuit dehors. De loin, on n'aperçoit qu’un groupe pelotonné de maisons presque enfouies sous des toits de tuiles descendant très bas. Une ou deux routes, bordées de peupliers, sont le seul ornement des abords. L’organe central est une large rue irrégulière, où se trouvent les puits, les fontaines, ou parfois de simples mares. Fumier, charrettes, ustensiles agricoles se prélassent librement sur l’espace ménagé des deux côtés de la chaussée, le long des maisons. La force d’anciennes habitudes, un certain dédain de l'agrément transpirent dans l’aménagement de ces villages agricoles lorrains : le jardin n’est qu’un potager ; un toit commun abrite hommes, bêtes et granges. Néanmoins la maison est en réalité ample, bien construite. Elle paraît triste quand on vient d’Alsace ou des Vosges ; rien n’est sacrifié au pittoresque. C’est la demeure d’une population depuis longtemps figée dans ses habitudes, enne-