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ci qui l’emporta, maintenant la Moselle sur la bordure jurassique. Elle devint ainsi l’artère principale d’un réseau, presque unilatéral il est vrai, mais riche et puissamment ramifié.

Une grande rivière vosgienne semblait pourtant vouloir échapper à l’attraction de la Moselle, et esquisser un cours indépendant. La Sarre, née au pied du Donon, pénètre au Nord dans le bassin houiller et ne rejoint qu’après un long détour la grande rivière lorraine. Elle vient cependant se confondre avec elle, au moment où les deux courants réunis s’apprêtent à accomplir, entre le Hunsrück et l’Eifel, une percée analogue à celle du Rhin à travers le massif schisteux. La Moselle n’aura plus désormais qu’à achever romantiquement son cours en méandres sinueux dans un pays accidenté et solitaire. Son confluent avec la Sarre, comme celui du Main et du Rhin, marque l’achèvement d’un faisceau fluvial autonome. A l’extrémité de la riante vallée chantée par Ausone, entre des coteaux de vignes, Trêves, la ville romaine, occupe une position qu’on peut comparer à celle de Mayence. Si celle-ci fut la métropole de la province de Première Germanie, Trêves fut celle de la Première Belgique. 
Il est utile de se reporter à ces vieilles divisions, dans lesquelles s’expriment les premiers groupements politiques de peuples. La province romaine s’est d’ailleurs continuée par la circonscription ecclésiastique de Trêves, et de nombreux rapports ont longtemps maintenu un reste de cohésion. Mais à la longue les morcellements féodaux, princiers ou ecclésiastiques, ont prévalu ; ils ont séparé diverses parties, sans réussir toutefois à abolir entièrement l’empreinte d’autonomie régionale qui s’étend à toute la contrée dont la Moselle est le lien. 

II LIMITES NATURELLES DE LA LORRAINE

Une autre cause d’autonomie fut l’isolement. Ces roches rouge qui encadrent sur la rive gauche la Moselle à Trèves, sont l’extrémité de la longue zone, arénacée et forestière, qui entoure d’une sorte d’arc de cercle la région lorraine. Nous avons VU, au Sud-Ouest, se détacher du flanc des Vosges une zone de forêts et d’arbres qui enveloppe les sources de la Saône. Vers le Nord aussi elle se prolonge par les bois sans fin de la Haardt. Puis, vers Deux-Ponts, elle tourne à l’Est, se rapprochant ainsi de la Sarre, qu’elle enveloppe à Sarrebrück de ses profonds replis. C’est comme une réapparition du pays vosgien que ce massif de Forbach à Saint-Avold, où d’étroites vallées, servant d’asile aux villages et aux cultures, entaillent les tranches rouges des roches boisées. Un vaste croissant de forêts enveloppe presque ainsi la Lorraine à l’Est, au Nord et au Sud. Il a contribué à l’isoler ; car on ne pouvait le traverser que par les éclaircies naturelles ou par des amincissements qui çà et là réduisaient le domaine de la forêt ; par exemple à Saverne et à Bitche, par la dépression de Kaiserslautern entre Metz et Mayence, ou encore au Sud-Ouest, par les plateaux découverts qui mènent