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sactions avec les montagnards. Leurs grandes halles, leurs rues à arcades, leurs larges places les caractérisent, aussi bien que les eaux vives de leurs fontaines. C’est là que le Vosgien venait, à époques fixes, troquer son bétail ou les produits de son industrie, pour le grain nécessaire à sa nourriture, pour le lin qui devait occuper son travail d’hiver.

Avec la ténacité caractéristique de nos vieilles races de montagnes, une population s’implanta jusque dans les intimes replis du massif. Elle se fit place aux dépens des forêts, sur les flancs inférieurs des vallées, sur les versants où s’attardent les rayons du soleil. Dans les basses le long des collines, tant qu’il fut possible de faire pousser entre les pierres quelques-unes de ces récoltes de seigle ou de méteil qu’on voit encore à moitié verts à la fin d’août, s’éparpillèrent les granges, séjours permanents de ces montagnards. Ces maisons larges et basses, dont les toits en bardeaux s’inclinent et s’allongent pour envelopper sous un même abri le foin, les animaux et les hommes, sont les dernières habitations permanentes qu’on rencontre avant les chalets où les marquaires viennent, en été, pratiquer leur industrie[1]. Quelquefois un coin de terre plus soigné où l’on cultivait un peu de chanvre, où croissent quelques légumes, avoisine ces granges. On voit, dans les vallées qui confluent à la Bresse, le domaine qu’elles se sont taillé sur les versants tournés vers le Sud, entre les champs pierreux qui montent jusqu’à la lisière de bois et les talus de moraines qui leur fournissent souvent un meilleur sol. Jusqu’au-dessus de 800 mètres, les dernières granges se hasardent ; ensuite, il ne reste plus qu’à s’élever encore de 200 ou 300 mètres pour atteindre les chaumes, les pâturages d’été qui, dès le VIIIe siècle, commencèrent à être méthodiquement exploités. Par eux et par les seuils tourbeux qui les avoisinent on franchit aisément la ligne de faîte qui sépare des riches vallées d’Alsace. Il y avait ainsi près du Rothenbach, au sud du Hohneck, un vieux « chemin des Marchands », que pratiquaient les gens de la Bresse pour se rendre dans la vallée de Munster. Ces hameaux épars dans les vallées formèrent de petites autonomies. Sous le nom de Bans, qu’on retrouve dans toutes les parties des Vosges, ils se groupèrent en petites unités distinctes, ayant leurs relations, leurs costumes et leurs mœurs. On ne s’étonne pas, dans quelques-uns de ces replis retirés, de voir encore de petites communautés d’anabaptistes vivant à part.

A mesure que la population augmenta dans les Vosges, elle demanda davantage aux ressources de la nature ambiante, et principalement à la silve immense et aux eaux courantes. On exploita les forêts pour vendre des arbres à la plaine ; et de bonne heure la Meurthe vit s’établir un flottage important vers les riches campagnes de Metz. Des scieries, des moulins à papier profitèrent de la force des rivières. On en comptait un bon nombre dans les Vosges au XVIe siècle ; et longtemps même avant cette époque, des verriers utilisaient les sables des Vosges gréseuses, à Darney comme à Bitche ou à

  1. Marquaire, altération française de melker (celui qui trait les vaches).