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Il devient véritablement expressif, lorsqu’il a été fortement travaillé par l’érosion. Il se délite alors en plaques épaisses, empilées les unes sur les autres, souvent en surplomb. Quelquefois, brusquement, il se termine en corniche au-dessus d’une vallée creusée en abîme. C’est naturellement près des cimes que la désagrégation des grès a engendré ces fantaisies pittoresques, qu’on prendrait de loin pour des constructions faites de main d’homme. L’homme, d’ailleurs, a suivi l’exemple de la nature ; et souvent le burg s’est dressé sur les substructions et même en partie dans les flancs de la citadelle naturelle. L’instinct bâtisseur a emprunté au sol non seulement des matériaux, mais des modèles ; et les constructions de tout âge qui, de Sainte-Odile aux environs de Saverne, attestent son œuvre, s’incorporent à la roche même. Ces grès, très perméables, laissent filtrer les eaux ; et sur les sables produits par leur désagrégation, les rivières coulent dans des vallées étroites au niveau uni. Là, entre des prairies, « les eaux glissent sans bruit sur un sable assez fin[1] ».

D’autres grès, plus argileux et de teintes plus bigarrées, apparaissent sporadiquement et finissent même, dans la région des sources de la Saône, par occuper toute la surface. De nouveau alors la topographie se modifie. Le relief se déroule en ondulations comme celles qu’on voit, entre Epinal et Xertigny, s’allonger à perte de vue vers l’Ouest. Au lieu de cônes à pans découpés, ce sont de molles croupes, le plus souvent cultivées, qui constituent les parties supérieures. Des étangs, faings ou tourbières, y marquent la stagnation des eaux. Quoique dans son ensemble le pays soit encore boisé, la forêt s’éclaircit ; elle se décompose, pour ainsi dire, en un foisonnement d’arbres entremêlés de cultures, toujours assez maigres. Partout où dominent ces grès argileux, on constate le même changement. C’est une clairière de ce genre qui, dans la partie septentrionale des Vosges, constitue, au plus épais du massif forestier, le Pays de Bitche. Un roc de conglomérat, épargné par la dénudation, reste debout ; il a fixé le site du fort et de la ville.

II La forêt vosgienne

Partout cependant, soit qu’elle domine effectivement, soit que les défrichements l’aient morcelée, la forêt reste présente. Elle hante l’imagination ou la vue. Elle est le vêtement naturel de la contrée. Sous le manteau sombre, diapré par le clair feuillage des hêtres, les ondulations des montagnes sont enveloppées et comme amorties. L’impression de hauteur se subordonne à celle de forêt. Même après qu’elle a été extirpée par l’homme, la forêt se devine encore aux écharpes irrégulières qu’elle trace parmi les prairies, aux émissaires qu’elle y projette, soit isolés, soit en bouquets d’arbres grimpant sur des blocs de roches. De ces prairies brillantes jusqu’aux dômes boisés,

  1. Élie de Beaumont et Dufrénoy, Explication de la carte géologique de la France, t. I, 1841, p. 286.