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politique : l’un qui consista à former un tout d’une série d’établissements échelonnés sur les côtes ; l’autre fut un mouvement d’expansion, qui finit par se concentrer dans le cadre romain et ecclésiastique de la métropole de Rouen.

D’un groupement naturel de pays juxtaposés naquit ainsi une région politique qui fut, non une province, mais un État. Ses limites sont des frontières artificielles et gardées par des lignes de forteresses. Ses capitales ont un aspect royal. Des carrières de la plaine de Caen sont sorties les constructions monumentales qui rappellent le nom de Guillaume le Conquérant.

Colonie maritime, la Normandie colonisa à son tour, et son génie put rayonner au dehors, surtout dans l’art de l’architecture, dont elle tira les matériaux de son sol. Mais un élément foncièrement indigène, rural même, s’incorpore à la personnalité de ce peuple. La richesse agricole du Caux, du Lieuvin, des Campagnes, contribua à enraciner chez les habitants cette haute estime des biens de la vie, dont se détache plus aisément l’habitant des landes et des maigres sols bretons. Il n’y a pas, a dit un illustre Breton, un seul saint de race normande. Sans refuser leur large part aux influences ethniques venues du dehors, on peut dire que la terre normande a été pour beaucoup dans la formation du caractère normand.

Le marin, dont la patrie est la mer, dont la jeunesse se passe entre les bancs de Terre-Neuve et les pêcheries d’Écosse, est en Normandie une minorité, qui de plus en plus décroît. Lui peut-être, mais lui seul, reste, dans ses habitudes comme dans son type, un spécimen à peu près pur de survivance ethnique lointaine. Il nourrit pour le laboureur le fier dédain de l’homme de mer. Il aime, comme celui-ci, les longs repos après la vie périlleuse. Lorsque dans un de ces nids de pêcheurs un peu isolés, comme il n’en reste plus guère, on le voit débarquer, grave et calme, dans son attirail de matelot, femme et enfants accourant sur la plage pour contempler le butin rapporté, l’imagination évoque volontiers, dans leur simplicité, les scènes des anciens temps. Mais quant à la population adonnée à l’élevage, à l’industrie, à la culture, qui est la grande majorité des populations normandes, le sol a exercé sur elle une forte prise. Ce génie, fait de régularité et de calcul, s’est méthodiquement appliqué à créer de la richesse, et à tirer immédiatement de cette richesse les embellissements et les commodités de l’existence. La table plantureuse, le luxe des costumes, le développement des industries textiles en rapport avec l’importance accordée aux soins de l’habillement, sont des traits qui de bonne heure s’associent à l’idée de la contrée. La maison, même quand les matériaux de belle pierre manquent, marie avec élégance le bois avec la terre battue ou la brique ; elle s’entoure d’arbres, se revêt d’une parure de lierre et de fleurs. Soit que l’on contemple ces campagnes si amples en leur fécondité paisible, soit que l’on déniche entre les vergers et les prairies les maisons basses enfouies dans la verdure ou que l’on voie monter à travers les hêtraies la fumée des usines blotties