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s’est conservé avec autant de netteté » que dans les cantons de Beaumont, de Saint-Pierre-Église, des Pieux, des environs de Bayeux, etc.[1]. Ce que la Normandie a de plus normand, au sens étymologique du mot, s’est trouvé et se trouve encore dans les parties occidentales de la province, aux débouchés des rivières du Calvados et surtout dans les saillies presque isolées du pays de Saire ou de Hague. Types, dialectes et prononciations y conservent encore une saveur d’autonomie. Cette répartition confirme l’idée que suggère l’examen géographique des côtes. Une série de colonies graduellement échelonnées le long de la mer, usant minutieusement des facilités qu’offraient les découpures locales, est bien ce qui s’accorde le mieux avec les rapports de position et de structure.


VII L'ÉTAT NORMAND

Lorsque, par touches répétées, par successives superpositions une partie de l’ancienne Neustrie eut été germanisée, il resta à concentrer en une unité effective ces groupes littoraux épars. Ce fut une œuvre de haute et persévérante politique. Il sortit de ce travail une création vraiment originale : un être nouveau se greffa à la France du Nord. Et cette formation vigoureuse se superposa aux divisions préexistantes, sans toutefois en détruire le cadre.

Les vieux pays subsistent, avec les différences d’aspect et d’occupations qui tiennent aux différences de sol[2] : le pays d’Auge avec ses herbages, et la dissémination de ses maisons basses presque enfouies dans la verdure ; la Campagne de Caen, terre des champs de blé, des villages agglomérés, des belles pierres ; le Bessin, qui fait reparaître avec les pâturages les haies vives et les grandes rangées d’arbres. Mais une forte teinte germanique s’étend uniformément sur cette succession de pays. Elle s’atténue à mesure qu’on s’éloigne des côtes ; elle s’accuse dans les articulations péninsulaires et insulaires. La différence est donc grande entre la côte et l’intérieur. Ce n’est pas seulement l’antithèse classique de la Plaine et du Bocage ; mais, en dehors des différences qui tiennent à la composition du sol, il y a partout en Normandie celle qui résulte de la position maritime ou intérieure. L’influence maritime expire, dans le Pays de Caux, au seuil des falaises ; elle pénètre plus librement dans le faisceau de pays qui se concentre entre la Seine et le Cotentin. On peut dire qu’elle étreint entièrement les extrémités de la péninsule et les îles.

La Normandie ne se termine donc pas avec le Bassin parisien. Elle ne coïncide pas avec ses limites. Elle empiète, non par voie d’extension, mais par ses origines mêmes, sur la partie à demi submergée du Massif primaire armoricain. Elle s’est constituée à la faveur d’un double travail

  1. Dr Collignon, Anthropologie du Calvados et de la région environnante (Caen, Typ. Valin, 1894).
  2. Auge : sables et glaucopies (crétacé inf.), ou oxfordien (jurassique moyen). Campagne de Caen : bathonien (jurass. inf.). Bessin : marnes du lias.