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géographie politique ; il est avant tout, et le paysan le sait, un pays distinct. Le limon, déposé en couches puissantes sur la convexité du plateau, y a favorisé de temps immémorial la vie agricole. Cette puissance diminue, il est vrai, vers la périphérie ; mais à l’aide du marnage, c’est-à-dire en ramenant à la surface la craie sous-jacente, il a été possible d’amender l’argile à silex et d’étendre les cultures aux dépens des bois. Jusqu’à nos jours, c’est dans ces gains successifs que tient toute l’histoire du Pays de Caux. Ainsi se sont multipliées les fermes entourées de leurs vergers ou masures, d’où le fermier surveille son bétail, et que flanquent des fossés, ou levées de terres garnies de hêtres. Ainsi ont pullulé jusqu’à couvrir parfois plusieurs kilomètres, ces villages dont les rues sont des bosquets et dont les maisons s’espacent entre les pommiers. L’eau est rare, mais l’argile voisine de la surface permet de maintenir des mares ; et la population put ainsi se répandre avec plus de liberté qu’en Picardie. Sur ces plains, dans ces campagnes, la richesse agricole, aidée du tissage domestique, avait concentré une population nombreuse, qui s’égrène maintenant au profit des vallées. Ici seulement le Cauchois se sent chez lui ; ici il retrouve, avec ce qui reste encore du mode d’existence traditionnel, les façons de parler, le patelin cher à ses oreilles. Il est étranger dans les vallées.


IV VALLÉES NORMANDES

Les vallées ne peuvent pas être nombreuses en ce pays perméable. Sur la convexité du Pays de Caux on peut faire jusqu’à 20 kilomètres sans en rencontrer une. Jusqu’au niveau où les eaux infiltrées dans la craie blanche se combinent en courants assez forts pour atteindre l’assise marneuse sur laquelle elle repose, il n’y a ni vallée ni rivière. Mais, au contact du niveau de sources, la rivière sort, abondante et limpide. Dès sa naissance quelque ancienne abbaye, un château, des moulins, et aujourd’hui des files d’usines signalent la nouvelle venue. Par leur pureté et par la rapidité que leur imprime la pente, ces rivières tentent l’industrie. Ce qu’elle a fait de ces vallées, on en juge par les rues d’usines qui, le long du bec de Cailly, du Robec, de la rivière de Sainte-Austreberte montent à l’escalade du plateau. Mais cela ne date pas d’hier. C’est par les vallées que la Normandie est devenue industrielle. Elles s’insinuent entre les flancs épais du plateau, comme des veines par lesquelles pénètre et circule une vie différente, vie qui expire sur le plateau même.

Ce dualisme est fortement empreint sur tout le pays. Les petites rivières cauchoises ne disposent que d’une vingtaine de kilomètres pour racheter la différence de pente entre leur source et leur embouchure. Elles ne tardent donc pas à entailler profondément le plateau. L’argile à silex, mise à nu sur les flancs, apparaît avec ses rocailles rousses, que parvient à peine à tapisser, grâce aux éboulis, une végétation buissonneuse. Une ceinture de taillis et de bois, rebelle à toute culture, interrompt ainsi la continuité entre les plateaux