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anciens périples appelaient la côte d’en face. Les navigateurs saxons et Scandinaves le rencontraient devant eux dans leurs expéditions vers le Sud, comme aujourd’hui les paquebots venus des embouchures de l’Elbe et du Weser dans leur trajet vers l’Amérique. En de telles conditions les articulations de rivages prennent grande valeur. La moindre amorce saillante, la moindre ouverture donne asile à un germe sur un littoral ainsi assailli par des courants de migrations et d’aventures. Avec ses rigides falaises, le littoral du pays de Caux n'est qu’assez peu favorable aux établissements maritimes : pourtant, de Dieppe à Fécamp, les noms germaniques s’échelonnent sur le rivage[1]. Puis, de la Seine à l’Orne, de nombreuses embouchures fluviales, grandes et petites, ouvrirent des portes d’accès. Le Cotentin prêta enfin le secours et la tentation de ses promontoires extrêmes, où expirent les influences du dedans.

Cependant, en arrière de ce littorale! sur le littoral même, réagissait en un sens contraire la force ancienne et accumulée des influences intérieures. Toute une vieille et riche civilisation subsistait là, fondée sur la terre. Et cette force du sol était une garantie de résistance et de durée pour l’ancienne langue, les anciennes traditions, les anciennes races.


III LE PAYS DE CAUX

Le nom de haute Normandie se présente de lui-même à l’esprit, quand, vers Yvetot ou Yerville on embrasse autour de soi l’horizon. De larges ondulations se déroulent à perte de vue. On en a gravi péniblement l’accès. Que l’on vienne de Rouen, du Vexin ou du Pays de Bray, ou du rivage de la mer, il a fallu s’élever le long d’étroites vallées tapissées de hêtres, on a franchi des lambeaux de forêts, réduites aujourd’hui, mais qui jadis couvraient tous les abords, et voici maintenant que s’étend un pays découvert qu’aucune ligne de relief ne borne à l’horizon. Entre les champs de blé, dont les ondulations contribuent à amortir encore les faibles mouvements du sol, se dessinent çà et là des bandes sombres : ce sont des rangées d arbres derrière lesquels s’abritent les fermes, ou à travers lesquels se dispersent les maisons des villages. Estompées dans la brume, ces lignes forment des plans successifs. Cela donne une impression à la fois d’ampleur et de hauteur. En fait, le niveau général reste élevé ; de 200 mètres au sommet de la convexité du plateau, il ne descend guère au-dessous de 100 mètres aux bords des falaises. Entre la basse vallée de la Seine au Sud et la dépression verdoyante du Bray au Nord, ce bastion de craie revêtu de limon se projette tout d’une pièce, comme un témoignage de résistance aux affaissements qui ont affecté le reste du littoral normand.

Pourtant le Pays de Caux n’est Normandie que pour l’histoire et la

  1. Dieppe (diep, djupa, deôp = fonds). — Les Dales (Dal-r). — Fécamp (fiskr = pêcherie). — Scanvic (sand vik = crique de sable), etc. (Joret, Des caractères et de l’extension du patois normand. Paris, 1883, p. 35).