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peut voir, si quelque bourrasque a frappé le Vivarais et les Cévennes, une trombe d’eau noirâtre se précipiter, égale pour quelques heures au débit moyen du Danube.

Le fleuve, définitivement formé au Bec d’Allier, entre comme un personnage étranger dans le Bassin parisien. La pente, l’indécision de son lit, les scèneries qui l’encadrent, jusqu’à la teinte gris-clair de ses eaux, contrastent avec les rivières du groupe de la Seine. Dans sa traversée, de Decize aux Ponts-de-Gé, il a plus de 400 kilomètres à parcourir ; et néanmoins il ne perd jamais sa marque d’origine. Du Bec d’Allier à Orléans sa pente dépasse encore notablement celle que conserve entre Laroche et Montereau le plus rapide des affluents de la Seine. C’est toujours le fleuve à lit mobile, sorte de grève mouvante qui va des montagnes à la mer. Dans les grandes crues, le fond même du lit s’ébranle. En temps ordinaire chaque remous, chaque tourbillon entraine quelques particules de vase ou de sable. Les grèves elles-mêmes, qui paraissent oubliées par les courants paresseux, se désagrègent et s’égrènent silencieusement au fil des eaux. Elles coulent peu à peu vers la mer ; et les vases qui jaunissent la surface de l’Océan jusqu’à Noirmoutiers et qui se prolongent même jusqu’à Belle-Isle, indiquent le terme final du travail de transport, les substructions du futur delta qu’il est en train d’édifier.

Un reste des énergies torrentielles que déchaîna la surrection du massif survit dans la physionomie de ce fleuve. Pendant plus de la moitié de son cours, jusqu’à Briare[1], la Loire conserve la direction qui guida vers le Nord les torrents des âges miocènes ; elle semble leur héritière directe. Pourtant elle n’a pas suivi jusqu’au bout leurs traces. Celles-ci, par des traînées de sables granitiques, se prolongent vers le Nord, de façon à atteindre la Seine aux environs de Paris. La dépression occupée avant eux par le vaste lac qui déposa les calcaires de Beauce, leur avait frayé la voie. Il paraissait naturel qu’à son tour le fleuve continuât à s’y conformer. Il y était invité par les grandes lignes générales de pentes qui, entre Briare et Montargis, continuent à s’incliner vers le centre du Bassin parisien. Aucun obstacle de relief ne se dresse entre son lit et celui des affluents de la Seine ; l’espace intermédiaire est une plate-forme presque unie ; si bien qu’il a été facile de réparer la mutilation du réseau hydrographique et de restituer par des canaux la continuité fluviale interrompue. Cependant, la Loire, infidèle à la pente si marquée que décèle la différence d’altitude entre son niveau à Briare (130 m.), et celui du Loing à Montargis (90 m.), sur un intervalle d’environ 40 kilomètres, a été détournée et a échappé à l’attraction de la Seine.

D’abord le divorce ne semble pas définitif ; c’est par une légère déviation que la Loire s’écarte, de Briare à Orléans. Cessant de couler suivant l’orientation des failles qui du Sud au Nord ont découpé la partie orientale du Massif central, elle s’incline légèrement vers le Nord-Ouest. Après

  1. 523 kilomètres sur 980.