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autour de puits qui n’atteignent l’eau qu’à une grande profondeur, dépourvus de cet entourage d’arbres et de jardins dans lequel s’épanouit le village picard. Le calcaire, toujours assez voisin de la surface, fournit de bons matériaux, soit pour la construction des maisons, soit pour l’empierrement des routes. Le fermier beauceron, largement logé, circule en carriole sur les longues routes qui s’enfilent vers l’horizon. L’idée d’une vie abondante et plantureuse s’associe au pays qu’il habite, entre dans ses habitudes et ses besoins.

Ici, comme tout le long de la périphérie, le pays forestier s’oppose à celui du limon. Mais les bois ne sont pas loin. De n’importe quel clocher de la plaine, on voit la ligne sombre qui signale l’immense forêt de plus de 34 000 hectares que les sables ont créée au Nord d’Orléans. C’est l’antithèse de la Beauce, et son complément : c’est le cadre forestier dont elle a besoin. Dans la vie uniforme et traditionnelle du cultivateur beauceron, c’était une fête périodique que d’y aller faire chaque année la provision de bois. La forêt est pour lui un pays extérieur, comme la montagne pour l’habitant de la plaine. Il ne s’y sent plus chez lui ; il s’y rend en partie de plaisir. Il y trouve d’autres hommes et d’autres mœurs[1]. On en fait ensuite des contes et d’étranges histoires. Parfois, dans ces forêts si vastes d’autrefois, quelque coin retiré ou quelque arbre plus vénérable gardent leur légende, pénétrée de quelque souvenir de vieux naturalisme païen.


III RÉPARTITION DE LA VIE URBAINE

Parmi les choses qui manquent à la Beauce, la principale et la variété de relief. Il n’y a pas, dans la partie centrale que nous avons définie, de vallée, par conséquent pas de promontoire rocheux où pussent s’accrocher, comme aux bords du Loir, des villes et des châteaux forts. En l’absence d’autres moyens de défense, les habitants ont, à une époque reculée, creusé dans le tuf marneux du sous-sol ces curieux labyrinthes dont il existe des exemples, notamment près de Maves, de Suèvres, de Pithiviers. C’est près des villages les plus anciens qu’on trouve ces souterrains disposés pour servir de refuge temporaire, et qui presque toujours aboutissent à un puits[2]. Ils sont comme la contre-partie souterraine du village de la surface. La pénurie de sites défensifs, aussi bien que le peu de variété d’occupations dans ce pays purement voué à la grande culture, n’offraient pas des conditions favorables au développement d’une vie urbaine. Il y a dans la Beauce proprement dite des bourgades et de gros marchés agricoles plutôt que des villes.

La vie urbaine, comme l’industrie, se montre attachée à la réapparition des rivières. C’est seulement sur les flancs des coteaux baignés par l’Eure,

  1. Remarquez les noms de lieux : Mareau-aux-Bois, Chilleurs-aux-Bois, Neuville-aux-Bois, etc. (Feuille topographique au 80 000e, n° 80 (Fontainebleau).
  2. Cf. en Picardie les refuges souterrains de Naours.