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phe et l’homme d’action qui se réunissaient en lui ont bien senti le charme et la saveur du lieu.

Cette petite station de bateliers et de pêcheurs, cantonnée dans une île, tenait un précieux gage d’avenir dans le fleuve dont les ramifications l’enveloppaient. Le fleuve fut l’âme de la ville grandissante. Celle-ci se dessine autour de lui, se moule également à ses deux rives, elle le suit pendant les 12 kilomètres de la courbe immense et vraiment souveraine qu’il trace entre ses murs. Bien ouvert par son orientation aux rayons du soleil, dont les premiers feux l’éclairent et dont les feux couchants illuminent un des plus merveilleux panoramas urbains qu’on puisse voir, le fleuve trace à travers la ville un grand courant d’air et de lumière. Il fait essentiellement partie de l’esthétique parisienne. Il s’associe aux scènes pittoresques que représentent les vieilles estampes, quand ses rives d’aval, encombrées de barques et couronnées de moulins, donnaient encore librement accès aux troupeaux. Il reflète aussi sa physionomie historique. Dans la courbe bordée d’édifices, qui va de Notre-Dame à la place de la Concorde en passant par le Louvre, se déroulent successivement la gravité du XIIIe siècle, la grâce de la Renaissance, l’élégance du XVIIIe siècle.


II LA SEINE À PARIS

Paris pourrait donner à son fleuve les qualifications reconnaissantes qu’obtiennent de leurs riverains le Volga, le Rhin ou le Gange. La Seine centralise à son profit toutes les ressources du Bassin. Entre Romilly et Paris, en 130 kilomètres, elle reçoit coup sur coup presque tous ses affluents. Il ne faut pas juger de la Seine d’après ses humbles débuts et la longueur modeste de son cours. Elle a sa grandeur, faite d’accroissement progressif, d’harmonie élégante, reflet de la beauté paisible des campagnes où s’écoulent ses eaux. Jusqu’à Montereau, c’est une rivière d’un débit restreint[1], croissant lentement lorsque les pluies prolongées de l’hiver ont élevé le niveau des sources de son bassin, et tamisant alors d’un flot limpide les prairies pendant des semaines. Sa pente, déjà très ménagée, diminue encore et n’est plus que de 10 centimètres par mètre aux approches de Paris, trois fois moindre que celle de la Loire à Orléans. Elle triple de volume et double de largeur par l’arrivée de l’Yonne, cours d'eau plus puissant et surtout plus irrégulier, dont les crues, notamment « les bouillons de mai » peuvent monter jusqu’à 1 200 mètres cubes par seconde. Mais elles sont écoulées quand la Seine entre à son tour en crue. Enfin, lorsque la Marne a versé son flot vert, mais souvent trouble, qui se mêle peu à peu entre les quais de Paris aux teintes plus foncées de la Seine, le débit du fleuve s’accroît encore d’un tiers ; désormais, dans ses plus faibles moments, il ne descend plus au-dessous de 45 mètres cubes. Le régime est dès lors équilibré. Amortie par la pente et par la grande

  1. Entre 100 et 300 mètres cubes par seconde.