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la vertu du lieu se manifeste de bonne heure. Les établissements se succèdent sur place, en s’incorporant de plus en plus au sol. Les populations s’y assurent des position de refuge ou de défense, justifiées par les convoitises qu’excite le lieu. Elles se maintiennent et se l’avitaillent aux points occupés. Ce sont là des germes d’importance politique.

Aussi loin que peut pénétrer l’histoire, les villages, bourgs ou petites villes apparaissent nombreux dans la région parisienne. On le voit par les chartes de donation, les cartulaires, comme dans les récits de guerre et de ravages. Tant d’amorces avaient été ici préparées par la nature au choix des hommes ! Les îles qui succèdent au confluent de la Marne et de la Seine offraient, avec un asile, l’avantage du contact immédiat du fleuve. Au pied ou au-dessus des rampes calcaires, il y avait place pour des rangées d’établissements, que la belle pierre semblait solliciter : les uns s’alignent en effet à la base ; les autres, plus anciens peut-être, ont pris stratégiquement position sur les promontoires, les plateaux, les terrasses. Mais il y avait aussi, à flanc de coteaux, sur la lisière des sables, au-dessus et au-dessous du niveau de sources des argiles vertes, dans les dentelures des gypses, des sites avantageux pour varier les cultures, pour accrocher des plantations et des vergers. Les mêmes coteaux virent à diverses lignes de hauteurs se superposer les villages. Si le fleuve exerçait son attrait, la forêt finit aussi par exercer le sien, grâce aux sources qui en garnissent le pourtour. Les moindres reliefs, dans cette région où, sans être puissants, ils abondent, donnèrent lieu à quelque village, quelque point de groupement.

La région s’humanisa ainsi de bonne heure. Les indices d’une vie active et spontanée s’y manifestent dès les temps les plus anciens. De tout temps, on peut le dire, les environs de Paris eurent un aspect animé et vivant, qui manqua toujours à Rome, qui manque même encore maintenant à Berlin. Aujourd’hui, c’est la grande ville qui est le foyer d’émission de cette avant-garde de maisons la précédant comme une armée en marche, qui envahit la plaine, escalade les hauteurs, submerge des collines entières. Mais autrefois les bourgs ou villages, dont plusieurs ont été englobés dans la capitale grandissante, avaient leur existence propre, due aux conditions locales qui favorisaient partout la naissance de petits groupes.

L’impression qu’on recueille dans les premiers témoignages qui s’expriment sur cette région parisienne, est celle d’une nature saine et vivante, où le sol, le climat et les eaux se combinent en une harmonie favorable à l’homme. Ce pays garda longtemps, grâce aux abondantes forêts qui l’entourent presque, le pénètrent même par endroits, une physionomie de terre de chasse. Et néanmoins ce même pays était depuis longtemps déjà assez développé et civilisé, pour qu’un esprit raffiné, comme Julien, pût s’y plaire. On se reporte toujours volontiers à ce passage du Mysopogon où, comme par un amer retour sur les grandes villes populacières avec lesquelles il fut toujours en antagonisme ou en querelle, il décrit « sa chère Lutèce ». L’accent en est vraiment délicat, comme imprégné de fraîcheur matinale. L’écrivain philoso-