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pures du Morvan, ou que celles qui, comme la Marne ou l’Armançon, arrosent dès leur naissance des contrées de culture et de passages ? Les hommes ne se guident pas, dans ces attributions hiérarchiques, par des considérations d’ingénieurs et d’hydrauliciens. Les eaux dont ils commémorent de préférence le souvenir, sont ou bien celles qui les ont guidés dans leurs migrations, ou plutôt encore celles qui, par le mystère ou la beauté de leurs sources, ont frappé leur imagination. Telle est sans doute la raison qui a donné la primauté à la Seine. Elle est, non loin des passages, la première rivière permanente qui sorte d’une belle source, nourrie aux réservoirs souterrains du sol. Cette première douix de la Seine est une surprise pour l’œil dans l’étroit repli des plateaux qui l’encaissent[1]. Entre ces solitudes, elle est le seul élément de vie ; auprès d’elle se rangent moulins, villages, abbayes et forges, s’allongent de belles prairies. Les affluents lui manquent, il est vrai ; quelques-uns défaillent en route ; mais voici qu’au pied du roc de Châtillon une douix magnifique vient encore subitement la réconforter. Lentement d’abord, comme un gonflement des eaux intérieures, elle sort, pure et profonde, de la vasque qui l’encadre; puis à travers les prairies et les arbres s’accélère vers la Seine, comme pour lui communiquer la consécration divine que lui attribuait le culte naturaliste de nos aïeux.


VI TRAVERSÉE DE LA DEUXIÈME ZONE DE PLATEAUX CALCAIRES

Au pied de Châtillon, le sillon marneux dont l’interposition produit la ligne des sources interrompt un instant la série des plateaux calcaires. Mais, après la traversée de la Vallée[2], une nouvelle bande de calcaires durs se dresse en travers du cours des rivières. Ce sont les roches appartenant aux étages moyen et supérieur des formations jurassiques. Elles constituent le Tonnerrois, le Barrois, et dessinent une nouvelle zone concentrique du Bassin parisien.

Un moment élargies, les vallées se resserrent de nouveau. Ce ne sont plus des talus marneux coiffés de corniches rocheuses, qui les encadrent, mais des escarpements raides, caverneux, parfois d’une blancheur éclatante. Les roches qui bordent l’Yonne à Mailly-le-Château, la Cure à Arcy, sont perforées d’un labyrinthe de grottes ; à Tonnerre, Lézinnes, Tanlay, Ancy-le-Franc elles fournissent les belles pierres dont églises et châteaux ont libéralement usé. Pétries de polypiers, ce sont des roches coralligènes ; et, comme celles qui leur font suite de Commercy à Stenay, les tronçons d’un anneau de récifs bordant d’anciennes terres émergées. Mais cette roche éclatante est trop sèche pour que les plateaux y soient fertiles. Une nouvelle bande forestière s’étend ainsi. Elle va des bords de l’Armançon à ceux de la Meuse, de Tanlay à Vaucouleurs, n’interrompant les forêts que pour des

  1. 471 mètres d’altitude.
  2. Voir plus haut, p. 104.