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à la Manche, elle apparaît comme la plus anciennement connue et fréquentée. Avec une persistance remarquable, la géographie politique traduit le rôle d’intermédiaire que la nature lui a départi. La domination du peuple gaulois des Eduens était à cheval sur les versants de la Loire, de la Saône et de la Seine. Il en fut de même plus tard de la première Lugdunaise, puis de la province ecclésiastique de Lyon, et du duché féodal de Bourgogne. Il y eut là un groupement qui maintint en un seul faisceau les avenues de ce grand passage des Gaules.


IV LA MONTAGNE

Bientôt et graduellement le plateau, qu’avait déchiré l’irruption des eaux, se reforme, s’étend, finit par régner sans partage. Entre la source de la Seine et celle de la Marne, sur une longueur d’une soixantaine de kilomètres se déroule une des régions les plus sèches, les plus boisées et les plus solitaires de France. Une grande plate-forme de calcaire oolithique absorbe dans ses fissures presque entièrement les eaux. Les vallées assez profondes pour atteindre le fond marneux qui assure l’existence des prairies et des eaux, sont rares ; dans l’intervalle qui les sépare, quelques pauvres villages meurent de soif[1]. Il n’y a de place sur ces plateaux que pour de maigres cultures et des jachères à moutons et surtout pour d’immenses forêts de chênes, hêtres et frênes revêtant le cailloutis rougeâtre où se décèle le minerai de fer. Une industrie naquit ainsi, autour de l’abbaye de Châtillon-sur-Seine, de la présence du fer et du bois. Mais la vie, concentrée dans un petit nombre de vallées ou dans leur voisinage immédiat, reste morcelée. Dès que la nappe oolithique commence à s’étaler entre les découpures des vallées, apparaît le nom qui en résume les caractères aux yeux des habitants : la Montagne[2]. Dès qu’elle s’enfonce à son tour pour céder la place à un terrain moins aride, ce qualificatif vague fait place à un véritable nom de pays. Le Bassigny succède à la Montagne, comme celle-ci avait succédé à l’Auxois. Une vie plus riche reprend possession de la contrée. Ce changement, dû à la réapparition d’un sol plus marneux et plus friable, s’annonce aux approches de Langres. Le paysage, sans cesser d’être sévère, se découvre davantage. Un petit réseau de vallées se dessine et se ramifie. Entre celle de la Marne naissante et d’un petit affluent, un promontoire se détache ; et la vieille cité monte sa faction solitaire entre Bourgogne, Champagne et Lorraine.


V NAISSANCE DE LA SEINE

C’est donc des deux extrémités opposées de la Montagne que viennent les deux rivières qui se mêlent entre les quais de Paris. L’une d’elles, non la plus forte à l’origine, est, par un usage traditionnel, considérée comme l’artère maîtresse. Pourquoi la Seine, plutôt que les rivières si abondantes et si

  1. Coulmlers-le-Sec, Ampilly-le Sec.
  2. Dampierre en-Montagne, entre la Brenne et l’Ozerain; Courcelles-en-Montagne, près de Langres.