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Elles coupent ainsi successivement autant de zones différentes qu’il y a de formations géologiques. Elles établissent le rapport le plus direct et le plus court possible entre des zones que distinguent des différences de sol et par conséquent de produits. Elles traduisent elles-mêmes ces variétés successives par la forme de leur vallées, la nature de leur régime, la couleur de leurs eaux : limpides et lentes dans les terrains perméables des calcaires et de la craie, troubles et inquiètes sur les sols d’argile ou de marnes. Si, au lieu d’être transversal, leur cours s’était déroulé longitudinalement, la région aurait gardé sa variété, mais sans le bénéfice des relations naturelles qui en ont doublé la valeur.

Ces variétés vont devenir plus sensibles par l’examen rapide des contrées que ces rivières mettent en rapport. Nous commencerons par la région supérieure.


I — LE MORVAN

DE Vézelay, belvédère naturel, on voit à une lieue vers l’Est le paysage, tout bourguignon jusque-là, changer d'aspect. Le Morvan s’annonce comme une croupe à peine accentuée en saillie, mais qui contraste par son uniformité, sa tonalité sombre avec le pays calcaire. Lentement il s’élève vers le Sud, d’où seulement, vu du bassin d’Autun, il présente l’aspect d’une chaîne.

Le pays dont les différences s’accusent ainsi est bien une de ces contrées à part qui, pour le cultivateur ou vigneron des « terres plaines », éveillent l’idée d’une vie ingrate, et dont les usages, les cultures, les patois constituent pour lui un monde étranger. Ce n’est pas que le Morvan soit considérable par sa hauteur ni par son étendue[1]; mais, fragment mis à nu du massif primaire, il oppose aux belles cultures des plaines qui l'avoisinent la pauvreté d’un sol siliceux, privé d’éléments fertilisants, moins propre aux moissons et à l’engraissement du bétail qu’aux arbres et aux landes, aux genêts à balai, aux grandes digitales, aux taillis de hêtres et de chênes. Ce n’est pas ici l’aspérité des pics qui rebute la circulation : le Morvan, arasé depuis les âges les plus anciens, quoique temporairement envahi dans la suite par diverses transgressions marines, n’a plus que le socle de ses anciennes cimes ; il ne présente guère à la surface que des croupes d’un modelé large et d’apparence parfois presque horizontale. Les grandes routes, à l’exemple des voies romaines, n’ont pas eu de peine à s’établir sur la convexité des parties hautes. Mais ce qui manque, c’est la chose dont dépend vraiment la physionomie d’un pays, car elle règle le mode d’habitation et les relations quotidiennes : la circulation de détail. Entre ces croupes il n’y a que des

  1. Hauteur maxima : 902 mètres aux Bois du Roi. Superficie : 2 700 kilomètres carrés.