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tudes de régime ; sinon peut-être leur tendance à persister, malgré des changements de relief, dans le cours une fois tracé.

On qualifierait volontiers de sénilité l’état actuel du régime de la Somme, si l’application de cette métaphore à des faits d’ordre inorganique n’était pas sans inconvénients. Elle ne roule plus d’alluvions ; mais elle travaille à sa manière, par la végétation qu’elle favorise, à combler la vallée trop large dont elle dispose. Cette vallée est à fond plat ; de la base des croupes de craie qui se dressent assez brusquement de part et d’autre, les eaux suintent avec assez d’abondance pour qu’une série de marais et d’étangs longe le pied des coteaux. Le chenal reste toutefois distinct, grâce à un renflement qui relève vers le centre le profil de la vallée. Mais soit par des brèches naturelles, soit par des fossés de main d’homme, il communique souvent avec les sillons parallèles qui l’accompagnent. La vallée ressemble ainsi à un labyrinthe aquatique on dort une eau pure, profonde et herbeuse. Lorsque quelque ville aux remparts de brique se mire dans ces eaux dormantes, c’est une étrange apparition qui fait songer à des cités lointaines ; tel est, par exemple, le site de Péronne.

Dans la limpidité de ces eaux les sphagnes, dont les racines décomposées se transforment en tourbes, ont beau jeu pour se propager. La tourbe occupe une grande partie de la vallée. Elle ne tarderait pas à l’envahir tout entière, si une sorte de culture très spéciale n’avait pris possession de ce terreau noir et végétal : celle des hortillons. On voit aux abords des villes la vallée découpée comme un damier par des aires, petits lopins aménagés en jardins maraîchers. De petites barques longues et effilées, maniées à la perche, circulent entre ces mottes sises presque à fleur d’eau, et qui seraient à la merci d’un caprice de la rivière, si la Somme avait encore des caprices.

Ailleurs la vallée garde encore sa physionomie primitive, et l’on voit s’épancher les eaux, entrecoupées de halliers et d’épais fourrés. La pêche est abondante, le gibier pullule, car à l’époque des migrations les volées d’oiseaux aquatiques s’abattent sur ces nappes marécageuses. Quelque cahute de pêcheur, en bois ou en roseau, est installée dans les postes favorables. On a ainsi la surprise inattendue d’une échappée sur la vie que durent pratiquer les tribus anciennes qui trouvaient dans ces labyrinthes asiles, refuge et moyen de subsistance. Mais pour le paysan d’aujourd’hui ces refuges aquatiques des restes d’une vie primitive ne représentent pas un domicile habitable : suivant son expression, « on rentre dans le pays » quand on regagne les flancs secs de la vallée.


X LES VILLES DE PICARDIE

Les sites urbains, dans de pareilles conditions physiques, ont été fixés par les points où la traversée était le moins difficile. C’était un avantage décisif que l’existence de gués, ou d’un roc resserrant la vallée, ou d’appuis solides pour construire un pont. L’histoire, en multipliant les rapports, aida à la multiplica-