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ravins, des fossés, des riots secs que signale de loin quelque ligne d’humbles saules. Ces laides campagnes méritent pourtant attention : ce fut et c’est encore une des portes de la France. Les communications générales, celles qui créent des relations politiques de longue portée, ont dû rechercher la zone de moindre obstacle. Ces espaces élevés et découverts, d’où l’on domine les environs, où il n’existe ni rivières, ni marais à traverser, étaient naturellement désignés aux ingénieurs romains qui ont fixé pour longtemps la viabilité de nos contrées. On peut voir, entre la source de l’Escaut et celle de la Somme, la grande voie qui reliait Vermand à Bavay, deux points qui ont aujourd’hui cédé leur importance aux villes voisines. Pendant 80 kilomètres, elle suit presque imperturbablement la ligne droite, à peu près toujours au même niveau. Sorte de voie Appienne du Nord de la Gaule, elle se dirigeait de là, toujours de préférence par les plateaux limoneux, vers Tongres et Cologne. Cette ligne maîtresse était donc en réalité une voie naturelle. Jalonnée, en Belgique comme en France, de restes de la civilisation gallo-romaine, elle a cimenté entre les pays wallon et picard un rapport déjà préparé par l’analogie du sol et qu’à défaut de lien politique la ressemblance de dialectes met encore en lumière. À ce pivot de communications venait aboutir les routes de l’Ile-de-France en Flandre. Il est significatif de trouver une série de villes échelonnées près de la naissance des principales rivières, avant que leur sillon s’approfondisse. Ce sont les étapes fixées par les commodités naturelles d’un transit ancien. Saint-Quentin, héritier de Vermand, puis Roye, Montdidier, Bapaume[1], correspondent aux routes qui de Reims par Laon ou Soissons, de Paris par Crépy-en-Valois, gagnaient les Pays-Bas. Qui tenait ces villes interceptait une des grandes voies de commerce.


IX LA SOMME

La Somme est une des rivières dont l’existence remonte le plus haut dans l’histoire du sol. Sa vallée est, avons-nous dit, un synclinal vers lequel s’abaissent les couches au Nord et au Sud, en harmonie avec l’allure générale des plis qui ont affecté le Bassin parisien. Elle a certainement de très bonne heure fixé son lit dans la vallée quelle occupe ; mais ce n’a pas été sans passer par d’étonnants changements de régime. Cette rivière paisible au débit uniforme, laissant déposer tranquillement la tourbe le long de son chenal, a eu jadis un cours diluvial capable de transporter pierres, graviers et galets. C’est dans les graviers qu’abondent les traces de l’âge paléolithique dans la vallée de la Somme. En Picardie, comme en d’autres pays de lentes rivières, la Flandre et la Beauce, subsistent les traces d’un régime tout différent. Rien d’exceptionnel dans ce fait. Aucun trait n’est plus frappant dans ce que nous commençons à savoir aujourd'hui de l’histoire des rivières, que ces vicissi-

  1. Sur le bureau de douanes de Bapaume, voir Finot, Étude historique sur les relations commerciales entre la France et ta Flandre au moyen âge. Paris, Picard, 1894.— Fagniez, Documents relatifs à l’histoire de l’industrie et du commerce en France, t. II, introd., p. x. Paris, Picard, 1900 (Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire, fasc. 22 et 31).