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resté que les parties insolubles, argile et silex[1]. Celle substance de décomposition, partout où elle domine à la surface, en modifie l’aspect. Elle est assez imperméable pour maintenir des mares auprès des masures du Pays de Caux, pour imprimer même un régime accidentellement torrentiel qui étonne, à certains cours d’eau de la craie. Lorsque l’argile à silex est drainée, ameublie, amendée par la craie sous-jacente, elle fournit un bon sol agricole. Bien des forêts ont été défrichées ainsi, surtout au XIIe siècle et de nos jours. Mais il en reste assez, soit tapissant les flancs des vallées, soit étalées sur les plateaux, pour dénoncer l’apparition de ce sol rocailleux. La forêt d’Eu dans le Ponthieu, et sur la lisière du Pays de Caux celles d’Eauvy, de Lyons, la Forêt-Verte sont les débris encore imposants de massifs forestiers, dont la conservation paraît liée à la présence de l’argile à silex.


IV LIMON DES PLATEAUX

Mais quand ce terrain cesse de se montrer et que, d’autre part, ont disparu aussi les marnes ou dièves argileuses, propices aux herbages, c’est-à-dire à l’Est et au Sud d’une ligne passant environ par Amiens, Albert, Bapaume, Cambrai et le Cateau, la physionomie de la contrée limoneuse à sous-sol de craie atteint sa pleine expression. Dans le Cambrésis, le Vermandois, le Santerre surtout, l’épais manteau couvre et amortit toute saillie. On voit parfois des pans verticaux de limon se dresser de trois à quatre mètres entre les chemins creux qu’il encadre. Ce n’est souvent qu’à sept ou huit mètres en profondeur qu’on trouve la craie. Ce limon n’est pas argileux comme celui des Flandres : sa couche supérieure est généralement décalcifiée, mais au-dessous il présente une texture sableuse et friable à travers laquelle les eaux de surface trouvent un écoulement naturel. Par quel procès naturel, sous quelles influences mécaniques et climatériques ce puissant dépôt s’est-il formé ? Il n’est pas douteux qu’ici les apports sablonneux des mers éocènes n’aient largement contribué à lui fournir les matériaux. Mais, d’autre part, comme nous l’avons vu dans un des précédents chapitres[2], ce limon des plateaux se lie à une série de sols analogues qui, par leur structure et surtout les restes organiques dont ils sont parsemés, semblent traduire aussi, à travers les différences locales qui les distinguent, l’influence de conditions de climat communes à une partie de l’Europe centrale. Dans la France du Nord, où ces sols couvrent une surface considérable, où ils tapissent non seulement la région picarde, mais le Vexin et la Beauce, ils n’atteignent nulle part autant de puissance que sur la zone qui va de Cambrai à Montdidier ; et nulle part ils n’impriment aussi fortement leur cachet sur l’existence des populations.

  1. Il en est de même dans les régions à sol crayeux qui s’étendent au Sud de la Seine. Et là aussi des forêts couvrent ou parsèment l’argile à silex (Forêts d’Évreux, de Conches, etc.).
  2. Première partie, chap. III. p. 32.