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plateaux sans fin, que découpent en larges croupes de rares cours d’eau suivant un parallélisme qui ne se dément pas jusqu’aux limites de la Normandie.

C’est qu’en effet le Bassin parisien est sillonné, dans sa partie septentrionale, par une série alternante de bombements et de plis qui en ont affecté les couches profondes, préparant les voies des vallées actuelles. Le bombement de l’Artois est le principal de ces anticlinaux, comme la vallée de la Somme est le principal de ces synclinaux. Une suite d’ondulations, sensibles dans le réseau fluvial, mais se traduisant surtout par l’apparition de couches diverses, fait succéder ainsi tour à tour dans une direction uniforme les plis où ont trouvé place les rivières, et les crêtes dont l’érosion a échancré le sommet. La craie, après s’être relevée dans les coteaux d’Artois, plonge dans la vallée de la Somme, pour se relever de nouveau ensuite dans le Pays de Bray. Et dans ce pays, comme dans le Boulonnais qui va d’abord nous occuper, la similitude du phénomène géologique a engendré de remarquables analogies dans l’aspect du sol.

Vers l’Ouest, le bombement de l’Artois s’est exagéré. Les couches crayeuses ayant été relevées à une grande hauteur, n’ont pu résister à la dénudation : elles ont été démantelées, et « comme un coin du ciel dans une échancrure de nuages»[1], les couches antérieures qu’elles recouvraient, argiles, grès et calcaires, ont apparu à la surface. Un pays tout différent s’est ainsi formé, ni picard ni flamand : le Boulonnais ; pays qui, malgré son exiguïté, reste distinct dans la géographie comme dans l’histoire. L’exagération d’un mouvement mécanique dans les profondeurs de l’écorce terrestre a suffi pour changer entièrement la physionomie de la surface.


III BOULONNAIS

Le Boulonnais est une enclave creusée par affouillement dans la carapace de craie. Interrompu par la brèche du détroit, il continue, entre les North et South Downs, dans le Weald anglais. On en gravit lentement les bords par des rampes uniformes et pelées, que signalent, au Sud, de grandes fabriques de ciment : tout à coup un paysage se découvre, verdoyant, accidenté, entièrement différent du bourrelet crayeux qui l’enveloppe. C’est que la venue au jour de couches plus variées et généralement plus tendres a permis au travail des eaux de sculpter inégalement la surface, de créer un modelé où la diversité des affleurements se traduit par de fréquents niveaux de sources. Bois et prairies se remplacent tour à tour ; des rivières courent avec rapidité sur des lits pierreux ; des haies vives, où le houx se mêle souvent à l’aubépine et aux saules, encadrent de petits chemins, tandis qu’un peu partout, mais de préférence sur les hauteurs, s’éparpillent des maisons longues et basses dont les fenêtres se décorent de fleurs et qui revendiquent chacune leur parcelle de vergers, de prés ou de champs. Quelques roches plus dures,

  1. Elie de Beaumont.