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tristes petites maisons que rien ne distingue entre elles, nées à date fixe pour encadrer les mêmes existences multipliées comme les zéros d’un nombre. Parfois le contraste prend une forme saisissante : Valenciennes, signalée au loin, comme dans les tableaux de Van der Meulen, par les flèches élégantes de ses édifices, ramasse ses rues étroites autour de sa grande place ; mais à ses portes, comme une excroissance, s’étend l’énorme banlieue désarticulée, avec ses files de maisons, d’estaminets et d’usines.

Il y a donc dans cette Flandre, à côté de villes qui ont eu leur moment, mais qui semblent aujourd’hui figées dans leur passé, d’autres où la vie fermente, encore discordante dans sa croissance hâtive. La sève urbaine n’est pas éteinte. Elle est dans l’histoire et dans le sang des habitants. C’est comme citadins que les Flamands se sont sentis eux-mêmes, qu’ils ont lutté contre l’étranger, lequel souvent n’était autre que le roi de France. Leur patriotisme se personnifie dans des monuments ou des emblèmes urbains. Si Tournai, la vieille ville épiscopale, a sa fière cathédrale aux sept tours, il n’en est guère qui ne puisse montrer qui ses halles, qui son hôtel de ville, qui sa merveille, beffroi et carillon, symbole et voix de la cité. Même dans les villes mortes, la place vaste et irrégulière, faite pour les rassemblements populaires, évoque le souvenir des foules d’autrefois. Ces villes ont été en guerre, mais aussi en relations constantes de commerce, d’institutions, d’art et de fêtes. Par-dessus les différences de langues et de frontières, qui ne nous paraissent si fortes que parce que nous les voyons par les cartes plutôt que dans la réalité vivante, elles continuent à fraterniser. Une certaine joyeuseté anime cette vie urbaine. Tournai échange avec Lille des quolibets plus goguenards qu’injurieux. Le reuse de Dunkerque rend visite au gayant de Douai. Une sorte de folklore citadin, surtout développé dans les dialectes populaires, rouchi et wallon, a inspiré des poètes, des chansonniers, surtout des dictons moqueurs d’une ville à l’autre. Tant il est vrai que, dans toutes les associations humaines, l’imagination a sa part ! Il faut qu’elles émeuvent les sentiments, qu’elles frappent la vue par des spectacles, qu’elles s’incorporent aux habitudes et aux plaisirs. Par là, en Flandre, la vie urbaine a conservé sa saveur. C’est comme citoyen d’une ville, membre d’une corporation habitant d’un quartier, que le Flamand se sent de son pays.