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IX LA VIE URBAINE

Il y avait en effet dans la réciprocité des besoins et des facilités de circulation, le germe d’un riche développement de vie urbaine. Son expression la plus brillante fut au Moyen âge, où, dans un espace restreint, on vit ports maritimes, centres industriels, stations de batellerie, marchés à grains, se correspondre comme les pièces d'un organisme économique. Mais les racines dont naquit cette féconde et exubérante frondaison urbaine plongent plus loin dans le passé.

On vit de bonne heure, à l’Est comme à l’Ouest de l’Escaut, des villes se former sur la zone où les croupes crayeuses s’inclinent au seuil de la dépression humide. A portée des grandes voies romaines qui se dirigeaient vers la Bretagne et la Germanie, au sommet des croupes, aux issues des vallées, sur les éminences détachées, naquirent des postes militaires, noyaux de villes : Térouanne dans la partie bien définie et non marécageuse de la vallée de la Lys, Arras entre une ceinture de coteaux, Cambrai au débouché de l’Escaut, ou bien sur les monticules isolés dans la plaine, Cassel, Tournai. Telle fut la première série urbaine qui tint longtemps les clefs de la contrée et même des contrées voisines. L’arrivée des Francs à Tournai, Cambrai fut l’indice précurseur de leur prépondérance dans le Bassin parisien.

La vie urbaine resta primitivement attachée à cette première zone : c’est seulement plus tard, surtout du IXe au XIIe siècle, que, dans les marais longtemps disputés par la mer, dans les tourbières qui de Saint-Omer à Marchiennes bordent la lisière de l’Artois, ou dans les lacis fluviaux enveloppant des îles, naquit une nouvelle génération de cités, bien plus variées, plus originales et destinées à une bien autre fortune : Lille, Gand, Bruges, etc., virent le jour. C’est alors que la vie s’insinua par nombre d’artères jusque dans l’intérieur même de la contrée ; qu’elle créa, en rapport avec les villes maritimes, les marchés de grains de Béthune, Saint-Omer, Bergues, Douai ; qu’elle ébaucha, par la ligne des marais qui sillonnent le pied des côtes crayeuses, le système futur de canalisation. Plus tard, ces marais servirent de fossés à des places fortes. Elles sont nombreuses, les villes grandes ou petites qui, derrière leurs larges fossés, ont arrêté des invasions, soutenu des sièges et conservé une légende guerrière. Serrées dans leurs rouges remparts de briques, elles ont presque toutes quelque histoire glorieuse de frontière à raconter, et ce n’est pas sans regrets que la plupart voient aujourd’hui tomber leur armure.

Chaque époque de l’histoire a fait surgir sur ce sol de nouvelles rangées de villes ; quelques-unes s’éteignaient, pendant que d’autres venaient au monde : la formation urbaine ne s’est pas arrêtée. Le sous-sol y collabore à son tour. C’est vers 1846 que la poursuite du bassin houiller, déjà reconnu depuis cent ans à Valenciennes, s’est avancée jusqu’à Lens et Béthune. Alors, à côté de la ville, unité harmonique dans un cadre restreint, s’est formé çà et là un type que le passé ne connaissait pas, l’agglomération industrielle. Autour des puits de mines dont les silhouettes bizarres hérisent la plaine agricole de Lens, les rangées de corons s’alignent uniformément par huit ou dix :