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Projeté sur l'Histoire, ce genre de pays et de vie se traduit par quelque chose d’arriéré et d’archaïque. L’Ardenne est restée en dehors des grands courants qui l’entourent ; elle est le môle autour duquel ils se divisent. En pointe entre le Rhin et les Néerlandes germaniques, elle est demeurée wallonne, c’est-à-dire française. En elle les langues romanes atteignent vers le Nord l’extrémité de leur extension ; jusqu’au delà de Liège et de Verviers le français est la langue du pays. Peu favorable par elle-même à un développement de vie générale, la région ardennaise détermine par opposition les contrées qui lui sont contiguës. A la faveur de l’abri que ménage son brusque talus méridional, « la nature met quelque chose de plus riche, de plus brillant, de plus animé[1] » dans ces vallées souriantes, que l’on désigne volontiers sous le nom de petites Provences, et qui relient, à travers le Luxembourg, la Lorraine au Bassin de Paris. Même entre la plaine germanique et la Basse-Belgique, sous les mêmes latitudes, il y a des nuances appréciables. Tandis que les plaines appuyées au bord occidental de l’Ardenne, directement exposées aux vents Sud-Ouest, leur doivent un printemps précoce, les plaines qui s’adossent au revers oriental n’en reçoivent le souffle que refroidi sur ces hautes surfaces. Les arbres fruitiers sont en fleurs dans la Hesbaie et les environs de Liège, quand la campagne est encore nue et dépouillée dans la plaine de Cologne. Mais, en revanche, septembre, trop souvent pluvieux dans la Basse-Belgique, est un mois généralement clair dans la plaine rhénane. L’Ardenne divise les populations et les climats. Elle contribue à individualiser autour d’elle les régions limitrophes.

  1. Houzeau. Essai d’une géographie physique de la Belgique (Bruxelles, 1854) p. 228.